Histoire de l’e-réputation

S’il y eut un monde avant internet, il en est de même avec le concept de réputation. « Au village, sans prétention, j´ai mauvaise réputation… » chantait Georges Brassens en 1952. Mais cette notion de réputation n’était pas encore un concept véritablement reconnu dans le monde de l’entreprise. Au début des années 70, avec l’arrivée d’internet, le village, chanté par Brassens, s’est agrandi ! Mais ce que l’on appelle « l’e-réputation » tarde un peu à se propager. En effet, ce n’est que trente ans plus tard, au début des années 2000, souvenons-nous, dans le même temps la  la clé USB devient un périphérique incontournable pour les utilisateurs d’ordinateurs que les marques commencent à repérer et à suivre sur les forums des échanges entre internautes (users groups) les concernant. Peut-on considérer comme un hasard le fait que les premières sociétés de services d’e-réputation voient le jour en 2004, année du lancement de Facebook ?

Le concept de réputation

Notoriété, réputation sont des représentations sociales tissées à partir de principes partagés par une communauté, à l’égard d’une personne ou d’une marque. Concrètement, la simple évocation par exemple de la marque, véhicule auprès des individus des représentations mentales spécifiques. Selon J-C. Abric*, « la représentation sociale est le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique ». Instrument de l’ordre social, la réputation est une sorte de « croyance sur la croyance » qui se transmet socialement. Cette transmission influence les comportements.

Histoire de la réputation à l’e-réputation des entreprises

Les entreprises se sont-elles toujours souciées de leur image ? Certainement, si l’on en juge par le souci qu’elles ont depuis longtemps de leurs symboles graphiques. De leur réputation ? Sans doute un peu moins. Jusque dans les années 80, on se référait plus facilement à l’idée de Milton Friedman selon laquelle : “The social responsibility of business is to increase its profits” !

On découvre le concept de « réputation d’entreprise » dans la littérature des sciences du management à partir des années 90, notamment lors de la création, en juillet 1997, de la Corporate Reputation Review qui commence à publier en ligne sur le concept de réputation pour la marque. La même année, John M T Balmer (Professor of Corporate Marketing at Brunel University) et Guillaume Soenen (professeur HEC en management stratégique) publient un travail de recherche sur la notion d’identité d’entreprise, sous le titre « Operationalising the concept of corporate identity: articulating the corporate identity mix and the corporate identity management mix ».

D’une manière plus générale, en 1993 l’écrivain-critique Howard Rheingold aborde le concept de l’utilisation de l’avatar et de « personnalité online » au sein de Communautés virtuelles. L’avatar étant un moyen de s’exprimer sans exposer sa réputation online.

L’exemple des MMORPG…

On retrouve une application de cette façon de se présenter « masqué » dans l’univers spécifique du jeu en ligne. Les habitués de MMORPG (Massive Multiplayer Online Role Playing Game) autrement dit « jeux de rôles en ligne massivement multi joueurs », ont anticipé le principe de l’e-reputation depuis une vingtaine d’années. Dans cet univers du jeu, les avatars incarnent des personnages qui vivent dans un monde virtuel, dit persistant, c’est-à-dire qu’il continue à évoluer quand le joueur n’est plus connecté. Les joueurs se forgent une personnalité à travers celle de leur personnage, des rapports sociaux se créent entre les acteurs de ces communautés virtuelles. Cette « vie sociale digitale » véhicule les mêmes sentiments, bien qu’ils soient codés en binaire, que ceux de la « vraie vie ». Dès lors, les habitants de cette société avaient déjà établi des stratégies efficaces pour forger et protéger leur réputation, sur les mêmes concepts que ceux de l’e-réputation définis aujourd’hui, comme par exemple : la coopération, avec la création de guildes, une veille proactive grâce à des échanges intenses sur des forums, l’adhésion à des chartes de bonne conduite**…

Réputation et diffamation

Dans le monde réel, la notion de réputation est protégée par l’article 29 de la Loi du 29 juillet 1981 qui encadre la réputation : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».

Dans le monde du jeu online, les modérateurs qui veillent à la réputation de leur jeu et à celle de leurs joueurs sont généralement intraitables. Tout joueur qui déroge au principe de respect des autres joueurs défini par la charte, par des insultes notamment, peut être est banni, non seulement sur son pseudonyme, mais souvent aussi par son adresse mail et par l’adresse IP de son ordinateur.

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* Représentations sociales : Théorie du Noyau central, 1984

** Exemple d’une charte de jeu MMORPG (extrait) : « La guilde attend de ses membres une conduite en accord avec les règles élémentaires de la politesse, le respect est de rigueur en toutes circonstances ! Notre langage et notre tenue se doivent d’être courtois et décents à tout moment, même lors des moments de tension et/ou de désaccord. L’objectif principal de la guilde étant le contenu PVE [« Player versus Environment » autrement dit « joueur contre environnement »]… ».

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3 Comments
  1. Tru Dô-Khac

    Réputation, diffamation,…deux éléments d’image qui tournent autour du respect de la personne physique ou morale.

    On pourrait rajouter les droits d’auteurs moraux, notamment le devoir de citation en cas d’emprunt dans le cadre de la L 122-5.

    Pour l’entreprise, on peut se demander si un simple énoncé d’une “Charte de bonne conduite” avec un mécanisme “d’adhésion” électronique suffit pour limiter les risques d’usage abusif sur un intranet ou un réseau social numérique d’entreprise où l’on reproduit des extraits d’œuvres glanées sur le net.

    Mettre en place quelques procédures simples et des sessions de sensibilisation pour les collaborateurs qui, de toutes les façons, restent subordonnés à l’entreprise, ne relève-t-il pas de mesures élémentaires de précaution ?

  2. Valérie

    @Tru Do-Khac : est-ce que l’on se demande si le code de la route suffit à empêcher certains automobilistes de rouler trop vite ou de brûler des feux rouges ? Il me semble que déjà une charte, travaillée avec les collaborateurs eux-mêmes, a pour le moins le mérite de poser le cadre et par son existence-même, de signifier que l’entreprise est sensible à ce qui concoure à sa réputation !
    Et puis c’est comme à table, il n’est pas toujours nécessaire de choisir entre le fromage et le dessert ! Le fait de mettre en place une charte ne dispense pas d’autres actions pédagogiques et participatives… Ce qui est sans doute le meilleur cadre de précaution, c’est de savoir capter l’attention des collaborateurs.

  3. Tine

    Bonjour,
    l’adhésion à une charte de bonne conduite, et son respect par la suite, dépendent bien entendu de la valeur que l’on donne a son pseudonyme et donc à sont “e-réputation”.
    Pour exemple je vais prendre mon propre cas. Cela fait maintenant 12 ans que j’utilise mon pseudo dans le milieu virtuel que je fréquente, le MMORPG, je l’ai utilisé sur 6 jeux différents et sur un grand nombre de forums de jeu. Attaché à mon pseudo, je suis connu et reconnu d’un jeu à l’autre, pour ma courtoisie et mon savoir vivre 😉 ! ce qui me fait plaisir.
    De toute manière en cas de non respect d’une charte ou même juste des règles de bonne conduite, de vie en communauté et de savoir-vivre, il y a toujours un chef de guilde, officier, modérateur forum, game master (maître de jeu)… qui sont là pour faire rappel à la charte, voire un bannissement pur et simple pour les cas les plus graves.
    Je pense donc que pour une entreprise c’est la même chose, surtout qu’il est bien plus dur de changer de nom IRL (in real life = dans la vie réelle) que dans un univers numérique !

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