Demain, le numérique que nous voulons !

9 novembre 2022 | ACTUALITÉS

Crédits photo – copyright © Mélanie Robin pour le Cigref

Le mercredi 12 octobre 2022, le Cigref accueillait ses membres et ses invités au Pavillon Gabriel, à l’occasion de sa 52ème Assemblée Générale intitulée « Demain, le numérique que nous voulons ». En conclusion de la séance publique, le Président du Cigref, Jean-Claude Laroche, a résumé, dans leurs grandes lignes, les convictions partagées par les membres du Cigref et l’orientation des travaux du Cigref pour les mois à venir. Retrouvez ci-dessous la transcription de son intervention.

J’espère que vous aurez pu saisir, au cours de cette soirée, l’ambition renouvelée du Cigref de bâtir son action pour demain en développant des convictions collectives au service de nos adhérents, partagées dans un cadre partenarial renforcé tant au niveau national avec « Convergences numériques », qu’européen avec nos amis de VOICE, de Beltug et de CIO Platform Nederland que je remercie vivement pour leur participation et leur présence ce soir.

Permettez-moi, chers amis, de partager avec vous quelques idées assez simples, sommes toutes assez évidentes, mais auxquelles nous avons parfois quelques difficultés à nous confronter, parce que, oui en effet, elles peuvent déranger nos habitudes et contraindre notre activité.

Empreinte environnementale du numérique

En premier lieu, je voudrais revenir sur la crise environnementale et climatique qui frappe l’humanité. Nous le savons, c’est un des principaux défis auxquels notre commune humanité est confrontée. Nous l’avons suffisamment redit ce soir – je pense ne pas me tromper en affirmant que personne n’en doute dans cette salle – notre écosystème devra prendre toute sa part dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et dans la limitation des activités extractives. Il est essentiel de toujours avoir certains ordres de grandeur présents à l’esprit sur ce sujet et donc de rappeler les chiffres de l’empreinte environnementale du numérique, d’abord pour savoir de quoi on parle, ensuite pour éviter de perdre du temps et de l’énergie sur les fausses bonnes idées. En France, le secteur du numérique représente environ 2% des émissions de gaz à effet de serre et ce niveau pourrait atteindre près de 7% d’ici 2040. En premier ordre de grandeur, et pour simplifier, l’empreinte environnementale du numérique provient à 70% de la fabrication et du transport des équipements qui constituent les infrastructures physiques du numérique, à 20% du fonctionnement des réseaux, des centres de données et du cloud, et seulement à 10% des usages du numérique. Quand un smartphone neuf arrive dans notre poche, ou un PC sur notre bureau, il a déjà produit plus de 70 % de son empreinte environnementale, sur l’ensemble de son cycle de vie. Soixante-dix pour cent ! C’est ce chiffre de 70 % qu’il faut retenir et c’est ce chiffre qui doit orienter notre action collective, car c’est – bien entendu ! – sur la fabrication du hardware, sur l’écoconception et la durée de vie des équipements physiques qu’il convient d’agir, en premier ordre de grandeur, si l’on veut avoir un impact réel, si nous voulons être sérieux sur la maîtrise de l’empreinte environnementale du numérique. Et ne nous voilons pas la face, la réduction de ces 70 % ne sera pas sans lourde conséquence sur l’industrie du numérique, tant du hardware que du software du reste. Même si nous ne nous dédouanons pas de notre responsabilité, nous autres utilisateurs de solutions numériques et que nous entendons bien travailler sur nos usages de ces technologies, c’est essentiellement entre les mains de votre industrie, chers amis fournisseurs, et bien entendu au niveau mondial, que résident les principales sources de maîtrise de l’empreinte environnementale de notre secteur d’activité. Vous aurez sans nul doute besoin de notre appui vigilant pour conduire ces changements, et il vous est acquis, mais plus sûrement de celui du législateur européen, et nous travaillerons à l’en convaincre.

Pour autant, nous partageons également une conviction symétrique sur la nécessité de mobiliser le numérique pour conduire toutes les transitions énergétiques et environnementales. Le numérique fera, et fait déjà partie de la solution, je peux en témoigner chez Enedis… Nous aurons donc nous-mêmes, en tant que dirigeants du numérique, l’exigence d’être force de proposition au sein de nos organisations afin de mobiliser la puissance du numérique au service de la maîtrise de l’empreinte environnementale des activités de nos entreprises et de nos administrations publiques. Pour y parvenir demain, nous aurons bien entendu besoin de la créativité, de l’expertise et de l’engagement de nos partenaires fournisseurs. Et cette mobilisation du numérique au service de la cause environnementale doit elle-même s’effectuer de manière toujours plus efficace. Sur ce thème, j’aime bien rappeler qu’aucun autre secteur d’activité technologique n’a réalisé des performances équivalentes à celles du numérique en termes d’efficacité énergétique. Nous pourrions parodier la loi de Moore en démontrant que, depuis plus de quarante ans la consommation électrique d’un processeur est divisée par deux tous les deux ans à puissance de calcul égale. Ça c’est pour le passé, mais des efforts au moins équivalents nous attendent pour l’avenir. 

Souveraineté et numérique de confiance

En second lieu, je voudrais revenir quelques instants sur le thème de la souveraineté numérique, pour tenter d’abord de clarifier la position du Cigref, pour rappeler quelques vérités ensuite, et pour partager enfin une conviction avec vous. La plupart d’entre vous le sait, le Cigref reste prudent sur l’utilisation de cette notion de souveraineté numérique. Pour notre association, la souveraineté est d’abord un attribut de l’Etat. C’est, dans sa définition la plus rigoureuse, le pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national,et son indépendance dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements. Il n’y a pas de raison de retenir une définition différente de la souveraineté dès lors que l’on parle de numérique. Pour notre part, nous préférons parler de numérique de confiance, car la confiance, on sait la caractériser à notre niveau. C’est ce que nous avons fait, du reste, pour le cloud de confiance en établissant un référentiel d’exigences qui traduit la façon dont les membres du Cigref expriment leurs besoins en tant qu’utilisateurs. Sur ce thème du numérique de confiance, je saisis l’occasion pour redire à Michel Paulin la disponibilité du Cigref afin de représenter les utilisateurs au sein du Comité stratégique de filière que le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, lui a demandé de préfigurer et de structurer.

Soyons clair, le Cigref ne s’inscrit en aucune manière dans une stratégie d’éviction des fournisseurs américains du marché européen. L’autarcie numérique de l’Europe est une chimère, bien entendu, et nous ne pouvons pas souscrire à ce discours qui peut bien souvent masquer des visées protectionnistes. Pour autant, si le marché européen du numérique doit rester ouvert, il ne doit pas l’être à n’importe quels vents. C’est la raison pour laquelle nous avons l’exigence d’articuler, notamment par la régulation, l’intérêt particulier et de court terme des entreprises, afin qu’elles puissent bénéficier des meilleures solutions au service de leur compétitivité, et la prise en compte des risques de moyen et long terme que font peser, sur l’intérêt général et sur l’économie européenne, et particulièrement sur les données sensibles de nos entreprises et administrations publiques, nos pertes d’autonomie en matière de technologies numériques.

Dans ce contexte, nous partageons la conviction de la nécessité, en Europe, d’un cadre légal et réglementaire offrant un point d’appui aux entreprises et aux administrations publiques en faveur du renforcement de la protection de leurs données sensibles, en quelque sorte un RGPD des données sensibles à caractère non personnel des industries et des services. Le Data Act pourra-t-il jouer, partiellement, ce rôle, il est encore trop tôt pour le dire, mais, à l’évidence, l’Europe a besoin d’un schéma de certification du cloud de haut niveau auquel nos membres pourraient se référer, garantissant l’immunité aux législations extra-communautaire à portée extraterritoriale. Nous l’avons affirmé avec nos amis allemands de VOICE, mais l’Europe est divisée sur cette nécessité, notamment parce que plusieurs Etats membres craignent de froisser l’allié américain dans les circonstances actuelles, en adoptant un tel schéma de certification. Mais si l’Europe renonçait à se protéger des législations non européennes à portée extraterritoriale, si elle avait la naïveté de céder aux pressions de ses concurrents géopolitiques qui n’ont pas les mêmes pudeurs en matière de protection de leurs données sensibles, elle priverait les organisations européennes, publiques et privées, de la complétude des bénéfices économiques et technologiques apportés par l’usage du cloud, désormais si essentiel à notre économie.

Et bien entendu, une fois ce cadre posé, je souhaiterais réaffirmer que dans la compétition mondiale, le Cigref appelle ardemment de ses vœux l’émergence d’offres souveraines, françaises et européennes, capables de rivaliser avec celles des meilleurs acteurs extra-européens et répondant aux attentes de ses membres. C’est évidemment l’intérêt de nos membres et c’est l’intérêt de notre économie.

Sur ces sujets de souveraineté et de confiance, là encore, il faut du sérieux de la part de tous les acteurs. Tant les diatribes des jusqu’au-boutistes de la souveraineté numérique, que les dénégations mensongères de certains représentants d’hyperscalers américains, sont délétères et contre-productives. Nous devons, pour demain, dépasser ces postures stériles afin de construire le numérique responsable et de confiance que nous appelons de nos vœux. Nous savons que la voie est étroite, et que nous sommes sur un travail de longue haleine, mais il est indispensable à l’ensemble de notre écosystème.

Femmes@Numérique

En troisième lieu, je souhaite revenir sur le sujet de la formation des générations futures, pour partager avec vous les inquiétudes déjà justement exprimées par Jean-Christophe Lalanne. La situation de la place des sciences dans l’enseignement secondaire est en effet très grave. Depuis 2019 et la réforme du baccalauréat, nous constatons collectivement, avec nos amis de Numeum et de Talents du Numérique, un recul sans précédent de la part des filles dans tous les enseignements scientifiques. Ce recul de près de trente pour cent a brutalement effacé, en 2 ans, les progrès patiemment acquis pendant plusieurs décennies sur la place des filles dans les parcours scientifiques, notamment en mathématiques. Le repli est plus brutal encore lorsqu’on associe à la formation un enseignement de mathématiques de 6h ou plus par semaine : l’effectif des garçons diminue de 37%, et celui des filles, tenez-vous bien, de 61%. Le mot n’est pas trop fort, chers amis, et je ne crains pas de parler d’une véritable catastrophe. Dans un contexte où nous constatons une pénurie croissante de compétences scientifiques, singulièrement dans notre domaine du numérique, cette marche arrière brutale de l’enseignement secondaire évince, de manière rédhibitoire plusieurs classes d’âge de jeunes filles de ces filières de formation aux métiers de demain ; nous ajoutons un drame économique à une tragédie sociétale.

Je vous lance ce soir un appel, chers amis. Nous avons besoin de vous pour agir, et agir dans l’urgence et de manière massive, en faveur de la féminisation des métiers du numérique. Le Cigref a été à l’initiative de la création, en 2018, de la Fondation Femmes@Numérique. Je vous invite à rejoindre cette démarche afin de renforcer notre capacité collective à relever ce défi lancinant de la place des femmes dans nos métiers du numérique. Face à ces reculs historiques et catastrophiques, nous entendons bien entendu ne rien lâcher, et nous avons besoin de l’engagement du plus grand nombre au sein de notre écosystème afin de fédérer les efforts et obtenir un impact positif statistiquement mesurable.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire du fait que 50 % de la population ne se sente pas concernée par ces métiers d’avenir. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce déterminisme sociétal qui éloigne les jeunes filles de ces métiers si nécessaires pour la croissance de l’économie. Nous ne pouvons pas nous satisfaire que les femmes ne soient que si faiblement engagées dans ces métiers indispensables tant pour répondre aux principaux défis, notamment environnementaux et climatiques, auxquels l’humanité est confrontée, que pour construire et organiser nos futurs numériques. Nous n’avons aucun intérêt à laisser cette situation se dégrader encore et encore, au-delà du raisonnable. Le numérique ne sera durable, responsable et de confiance que si, demain, les femmes sont pleinement associées à le bâtir.

Tensions internationales et inflation

En quatrième lieu, je souhaite revenir sur l’inflation, apparue assez soudainement au cours du premier semestre, et conséquence notamment de la crise sanitaire, de la guerre en Ukraine et des tensions énergétiques. Cette inflation s’est installée dans le paysage économique pendant l’été. Elle atteint désormais, dans le monde occidental, des niveaux que nous n’avions pas observés depuis les années 1980, avec des taux de 6,5% en France, de 9% aux États-Unis et même plus de 20% dans certains pays de la zone euro.

Les tensions inflationnistes se propagent au-delà de l’alimentation et de l’énergie, car les entreprises de tous les secteurs de l’économie répercutent sur leurs prix le renchérissement de leurs coûts. C’est ainsi que nos membres enregistrent, par exemple, une augmentation de plus de 10% du coût des matériels informatiques équipant leurs datacenters ou leurs salariés.

La situation tendue sur le marché du travail, notamment dans le secteur du numérique, avec des taux de chômage atteignant ou approchant leurs plus bas niveaux historiques depuis 20 ans, exerce aussi une pression à la hausse sur les salaires, susceptible de limiter la perte de pouvoir d’achat et de croissance. Cela étant, elle risque également d’amplifier l’inflation. 

La France est, pour l’instant, moins touchée par la hausse des prix, notamment grâce à la production électrique de son parc nucléaire, à sa moindre dépendance aux importations d’énergies fossiles russes et au bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement pour contenir la flambée du prix du gaz et de l’électricité.

Pour autant, nous avons conduit une analyse des conséquences de cette situation inflationniste sur l’activité de nos directions du numérique. En synthèse de nos échanges, il ressort que l’inflation ne freine pas, pour le moment, les projets de transformation numérique. Elle est cependant une variable essentielle de l’élaboration de nos budgets, bien entendu, et elle se traduira par des démarches renforcées de priorisation chez la plupart des membres du Cigref.

Le propre de l’inflation est l’incertitude qu’elle génère. Pour l’instant, la plupart de nos budgets se construisent sur des hypothèses inflationnistes prudentes, avec des hausses répercutées sur 2023 et 2024. Mais si la crise devait s’aggraver, afin d’éviter que la pression sur nos budgets ne génère un ralentissement net de l’activité numérique de nos membres, nous devrons sans doute nous engager, avec nos partenaires fournisseurs, dans une initiative de place afin de contenir les effets de l’inflation sur notre secteur d’activité et ses emplois. Nous avons déjà commencé à en discuter avec nos amis de Numeum au mois de septembre.

Conclusion

Pour conclure, chers amis, ce tour d’horizon de quelques-uns des défis que nous aurons à relever au cours des prochains mois, je souhaite vous redire la disponibilité du Cigref pour toutes les coopérations qui servent notre secteur d’activité numérique et s’inscrivent dans une démarche d’intérêt général. Toutes les transformations économiques, toutes les transitions sociales et sociétales, toutes les réponses aux défis auxquels l’humanité est confrontée, comportent désormais une dimension numérique décisive. Cette situation oblige notre écosystème dès aujourd’hui, elle l’obligera plus encore demain, et nous devons regarder cette réalité en face, l’analyser et la comprendre ensemble, la regarder pour ce qu’elle est, et non pour ce que nous voudrions qu’elle soit. Car, comme l’observait si finement Bossuet, et je lui laisserai le mot de la fin : « le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet. »

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