Pour la 4ème fois cette année, ROOMn « Rencontre d’affaires Mobilité et Digital », a invité les « décideurs de la transformation numérique », à faire le point sur la mobilité. Les grands acteurs du numérique sont venus partager leurs expériences sur les préoccupations des entreprises comme le Big Data dans une stratégie digitale, la déclinaison des nouveaux outils numériques en fonction des secteurs d’activités, des « règles du jeu » différentes selon les écosystèmes et leurs territoires…
Rétro-prospective : que dit-on en 2025 de la transformation numérique de 2016 !
La keynote d’ouverture s’est orientée autour de la question : « comment accompagner les entreprises dans leur transformation numérique ». Christian POYAU, actuellement Président de la Commission de la transformation numérique du MEDEF, s’est prêté à un exercice de rétro-prospective en projetant la question à 2025 !
En 2025 la transformation numérique n’est heureusement plus un sujet !
« Quel chemin parcouru… En 2016, les entreprises françaises étaient très en retard. Si les consommateurs étaient très connectés, à peine 65% des entreprises françaises avaient un site de e-commerce et la France était 13ème au niveau européen. En effet, en France en 2016, on pouvait à peine passer une commande sur un site de e-commerce allemand et inversement. On se trouvait face à une incapacité à créer des géants européens. Pour faire bouger les lignes au niveau européen, en 2020 la réglementation sur les investissements a évolué, de même que les lois sur le travail. On est sorti des débats un peu rétrogrades de 2016… Les entreprises ont également su bouger, même si ce fut un peu animé. Elles ont bien compris que la transformation digitale était quelque chose de sous-jacent à des problèmes de business models. Elles ont fait travailler ensemble les Métiers et l’IT… Ce fut passionnant ! ».
Et les canaux de communication ?
« La marque est passée du produit à l’usage, puis à l’usage du web et à la mobilité. Actuellement en 2025, les échanges e-commerces se font sur le terrain du mobile, mais pas uniquement à travers le smartphone d’il y a 10 ans. On en est à l’IoT (internet des objets)… à la voiture connectée qui est une réalité depuis 2022 ! Et sans doute que très bientôt on interdira aux Humains de conduire une voiture ! On en est aussi à la maison connectée. Et il ne faut pas oublier les robots. L’intelligence artificielle a fait une montée en puissance spectaculaire. Une des premières étapes a été en 2016 la victoire d’Alphago, la machine de Google qui a battu le champion du monde de jeu de Go. C’est ainsi que les canaux de communication ont considérablement évolués.
Dans les autres pays aussi les entreprises ont eu du mal à se transformer. Mais une des caractéristiques françaises était d’avoir moins que d’autres envie de tester. Si on comparait avec l’état d’esprit des entreprises de la Silicon Valley, elles avaient envie de tester, d’essayer. On peut prendre l’exemple des « drones taxis » (présentés au CES 2016). Les Américains ont franchi le pas plus facilement. En France, le principe de précaution, l’adaptation, entre autres étaient des freins ».
Le collaboratif, un autre changement
En 2025, le consommateur est beaucoup plus volatile, à travers des réseaux divers et complexes. Les entreprises ont dû s’adapter. Ce sont les plus agiles qui ont été gagnantes.
« Face à un impératif évident, l’entreprise s’est vue dans l’obligation d’être agile et collaborative. Elle ne pouvait plus maitriser seule l’ensemble de sa chaine de valeur. Ce qui s’est imposé, c’est une vision d’échange et aussi un besoin d’identification de sa création de valeur pour s’adapter à ce nouveau client. L’adaptation a été continue mais l’entreprise se doit toujours de rester très évolutive.
La collaboration Métiers et IT était d’actualité en 2016. On a vu émerger un profil, le CDO (Chief Digital Officer). Aujourd’hui ce profil n’existe plus, mais la question était récurrente il y a dix ans. Fallait-il quelqu’un pour orchestrer la transformation digitale ou était-ce le travail de tous ? A l’époque j’avais une Commission qui disait « attention à ne pas cristalliser le digital sur une fonction ! ». Le digital concerne tout le monde, faute de quoi on pouvait entendre dire « le digital ce n’est pas moi, ce n’est pas tout de suite… ». Il a fallu rappeler que cette transformation était l’affaire de tous, qu’elle devait être complètement partagée. La transformation, c’est toujours principalement une question d’organisation et d’équipe ».
Et l’ubérisation dont on parlait tant en 2016 ?
« On ne maitrise pas les phénomènes sociologiques. C’est une évolution de la société au sens large du terme. Ce qui a été stigmatisé par la société Uber dans les années 2015, sous le terme d’ubérisation, est une évolution de la société en suivant les technologies. La notion de possession de sa voiture a disparue. Tous les métiers ont évolué, dans le transport, dans l’hôtellerie… et les entreprises ont su, petit à petit trouver des réponses. Ces évolutions sont des opportunités quand on les aborde de façon positive, avec l’envie d’avancer. Bien sûr, cela va très vite, il faut faire bouger l’état d’esprit des personnes, mais c’est une formidable opportunité que la France a su saisir ! ».
Un monde 100% services ?
« Quelle que soit la société, il y a toujours une partie production. Maintenant, des secteurs ont beaucoup évolué, comme celui de la Santé qui reste une préoccupation pour chacun. Les notions de NBIC1,de 3D, d’évolutions biologiques apparues il y a dix ans, se sont accélérées et soulèvent encore des problèmes éthiques de manière générale. Mais oui, le service est devenu de plus en plus important. La relation que les entreprises doivent avoir avec leurs consommateurs est devenue centrale. L’intelligence artificielle faible a bouleversé les lignes en permettant de vivre autrement, d’échanger autrement ».
Quel projet le numérique propose-t-il à la société ?
Lors de la table ronde d’ouverture suivante, Denis Jacquet, cofondateur de l’Observatoire de l’uberisation commence par situer notre profil de consommateur.
« On ne réfléchit plus, on se positionne. Le consommateur réagit très vite, et le mobile pousse à cette accélération. Il exige de la facilité, sinon il zappe. Nous sommes dans un monde d’instantanéité, donc il attend un retour immédiat.
A l’Observatoire de l’ubérisation, nous avons le paléoanthropologue Pascal Picq. Il nous explique que, malgré notre impression de vivre quelque chose d’extrêmement différent, ce n’est qu’un remaquillage de ce qui existe déjà. Notamment, nous sommes toujours dans des relations assez tribales. Si certains aspirent à être « chef à la place du chef », nous cherchons aussi être comme la meute. La différence est qu’aujourd’hui, Internet a permis des « meutes », des communautés de gens qui se ressemblent. On est dans une société qui se regroupe entre des personnes qui se ressemblent sans communiquer avec celles qui sont différentes. Or, on ne construit pas une société comme cela. Il faut des gens différents qui se complètent. Ce sera un des enjeux du numérique ».
En conclusion de cette table ronde, Denis Jacquet rappelle un principe de réussite : « il faut perdre du temps pour en gagner ». Selon lui, à force d’être tout le temps dans l’accélération et la réaction, nous avons oublié de nous interroger sur les « pourquoi ».
Il est important de s’interroger pour savoir si le numérique est un progrès pour l’humanité. Par exemple, est-ce que la robotisation est un progrès si elle conduit à nous faire disparaitre ? Cela n’a aucun sens, il faut arrêter. Si le but du progrès de l’humanité est de supprimer l’homme, pourquoi est-ce que l’on court tous les jours !…
La seconde question est « dans quelle société avons-nous envie de vivre ? ». Quelle doit être la part de l’individualité, de la solidarité ? C’est à partir d’un projet de société que l’on peut proposer des mesures. Par exemple, est-ce que le numérique sera inclusif ? Est-ce qu’il va permettre de ré-inclure dans la société des gens qui en sont tenus à l’écart comme les séniors ou les moins de 25 ans ?
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1 Acronyme de Nanotechnologies, Biotechnologies, Intelligence artificielle et sciences Cognitives
Cet article s’appuie sur les notes prises lors de l’événement, avec tous les risques d’interprétation que cela induit. Il n’engage donc pas les personnes citées.