Changer de modèle collaboratif !

27 mai 2014 | ACTUALITÉS, Entreprises et cultures numériques

L’intérêt des neurosciences pour la transformation collaborative

Changer de modèle est un travail ambitieux. L’explosion des gains attendus grâce au numérique constitue une condition favorable au changement. Ce changement de paradigme nécessite pour les « cerveaux » des mutations cognitives et émotionnelles conséquentes. Il va falloir valoriser de nouvelles représentations, abandonner les pratiques  qui ont permis de réussir par le passé et en inventer d’autres. L’entreprise numérique conduit vers plus de transversalité et une transformation des modes collaboratifs. Pour accompagner cette mutation, il convient de conduire une démarche volontaire. Transformer les compétences cognitives, émotionnelles et mimétiques des individus est un chemin laborieux.  Penser collectif, sortir des silos, aller vers un fonctionnement en réseau exige plus de parité relationnelle. Elle se fonde sur une perception différente de la position des acteurs, ni dessous, ni dessus mais côte à côte.  Chacun doit intégrer les enjeux des autres comme des éléments constitutifs de ses choix quotidiens.

Elaboration d’un plan de transformation pour la montée en compétence collective d’une équipe

Voici un schéma structurant la démarche. Elle est articulée sur deux polarités et comporte six axes. Les deux polarités sont à intégrer explicitement dans chacun des registres de réflexion de l’équipe. Elles vont soutenir l’effort de transformation, lui donner du sens et apporter des ressources à l’innovation. 

  • Une finalité sociétale plus ouverte et diversifiée ; 
    des gains attendus pour l’actionnaire qui souhaite pérenniser ses avoirs; pour les clients qui veulent plus de service; une exigence forte des jeunes talents moins facilement influençables ; un environnement écologique et sociétal qui impose des contraintes de plus en plus variées.
  • La prise de conscience de l’émergence de nouvelles ressources ; 
    des innovations technologiques puissantes; les réseaux sociaux ; la compréhension du fonctionnement du cerveau humain. Ce dernier point étant central pour permettre une rupture de perception dans la compréhension de la complexité humaine.

Les six axes servent de structure au cheminement du projet de transformation des acteurs et à l’élaboration des plans d’action. Ces axes les guident collectivement à transformer leurs représentations, à inhiber les anciennes pratiques, à penser collectif (et éco systémiquement), à concevoir et expérimenter de nouvelles options, à modifier les processus de décisions et la mise en œuvre…, bref, à changer leur monde !

intelligence-collective

Je ne donnerai pas d’explications détaillées sur les objectifs et les outils utiles pour ces travaux, ma contribution porte sur l’intérêt cognitif, émotionnel et mimétique de chacun de ces axes.

La vision : Co-élaborer la vision et les stratégies 

La mémoire est constituée par les expériences passées. La plasticité cérébrale permet la mémorisation au travers de modifications anatomiques du cerveau. Elle s’exprime par la mise en réseaux de neurones. Les usages répétitifs de ces réseaux amènent à des routines cognitives très performantes. La mémoire du futur (se souvenir de ce que l’on fera demain, se projeter dans le futur pour prendre des décisions) présente la particularité d’utiliser les mêmes zones du cerveau que celles du passé. La personne qui n’a pas travaillé ses représentations du futur en faisant des hypothèses, en questionnant les idées reçues, va naturellement envisager le futur avec ses représentations du passé. Le travail sur la vision avec un minimum de travail prospectif fondé sur des apports d’informations est indispensable à l’équipe qui doit conduire une transformation. Sinon, les routines cognitives, les évaluations émotionnelles….reprendront le pouvoir à la première occasion.

La cohésion : Former un corps dans la cohésion, la diversité et l’ouverture relationnelle

Traverser les crises de la transformation suscite des perturbations émotionnelles. L’équipe doit pouvoir rester solidaire devant l’adversité. Pour cela il veut mieux savoir reconnaître ce qui vient de la personnalité des co-équipiers de ce qui vient de désaccords opérationnels et techniques. Les émotions sont la source de nos élans. Elles influent la façon dont nous vivons chaque situation. Pour elles, passé et présent se conjuguent. Elles déterminent nos comportements. Par ailleurs, la confiance se construit. Les interactions relationnelles chaleureuses et les signes d’encouragements réciproques permettent à l’hormone de la confiance (l’ocytocine) de jouer son rôle. Quand les co-équipiers savent gérer leurs émotions et s’entraider, l’énergie disponible est décuplée.

Le projet : partager la responsabilité du processus et du résultat 

L’humain dispose de différents types de mémoire. Trois pour les connaissances, un pour les compétences. Les mémoires perceptive, sémantique, épisodique permettent de se souvenir des images, des sons….du vocabulaire, des expériences vécues et de leurs conséquences émotionnelles. La mémoire des compétences, mémoire procédurale, sert à « savoir faire du vélo ». Cette mémoire est celle que nous utilisons pour élaborer des stratégies, pour coordonner nos gestes ou pour soutenir une argumentation. Elle est particulièrement solide, savoir faire du vélo ne s’oublie pas. Quand nous voulons changer les automatismes de la mémoire procédurale, deux mouvements doivent se coordonner dans le cerveau (désapprendre pour apprendre). L’inhibition de routines cognitives acquises (celles qui sont à remettre en cause) et l’élaboration de nouveaux circuits neuronaux doivent être menées simultanément. Ce défi demande du temps et de la pugnacité. La concurrence existe aussi dans le cerveau des individus. C’est en mettant en œuvre le projet que ce travail va se faire. La mémoire procédurale se constitue dans un processus d’essai-erreur. Vive les tâtonnements et les expérimentations !

Le leadership collectif : influer sur la transformation de l’écosystème 

l’équipe, l’organisation est un système ouvert. Il est impossible de transformer un système durablement sans travailler sur ses interfaces. La légitimité et les gains principaux des changements se trouvent là. Savoir travailler le leadership de façon collective est un bel exercice (bravo pour le Cigref). L’importance de la communication est aujourd’hui prouvée. Les neurones miroirs (découverts dans les années 90) s’activent dans le cerveau quand nous voyons les autres agir. Ils sont également sensibles aux sons et aux émotions. Ce sont les neurones du mimétisme.
Ils amènent le cerveau à simuler les observations, à valoriser de nouveaux schémas mentaux et de nouvelles figures d’autorité. Ils sont fortement sollicités dans les interactions relationnelles. Le mimétisme joue un rôle très important pour les évolutions culturelles. Dans les projets de transformation, il ne suffit pas d’imaginer des innovations, il faut savoir les installer dans l’écosystème et les rendre désirables pour ceux qui doivent les adopter.

L’ouverture :  s’ouvrir aux innovations et se nourrir des réseaux

Chercher des voies nouvelles avec les représentations du passé est impossible. L’imagination, pour pouvoir s’exercer, a besoin de nouvelles informations. L’ouverture des perceptions, l’exploration d’autres positions, la remise en cause des croyances, le déplacement de l’attention sont des passages obligés pour le cerveau de l’innovateur. Sans ces perturbations il sera tout simplement incapable d’innover. Chacun « fait » avec ce qu’il a dans la tête.

La motivation : articuler le projet individuel et le projet collectif 

La puissance de la motivation intrinsèque (qui vient de soi) par rapport à la motivation extrinsèque (qui vient des autres) est bien connue des spécialistes de l’accompagnement. Les neurosciences prouvent que le désir du propriétaire du cerveau est déterminant. Dans un projet collectif, chacun doit trouver sa place et son compte. La motivation vient de la vision partagée, de l’élan collectif produit par le lien social, de la fierté ressentie devant l’atteinte de résultats et de la satisfaction des intentions profondes de chacun. La peur, le stress, la colère devant les difficultés et les tâtonnements peuvent mettre la motivation à rude épreuve. Il faudra alors prendre le temps de la revalorisation de l’effort, opérer une médiation entre les parties par un recadrage sur le sens du projet, ses gains attendus et sa valeur dans le référentiel du co-équipier.

Ces quelques informations sur cette nouvelle ressource que constituent les neurosciences peuvent permettre de gagner du temps, d’alléger le cheminement et d’offrir le plaisir de l’émerveillement devant les découvertes des sciences de la nature humaine. Transformer les routines cognitives, émotionnelles et mimétiques actives dans la collaboration est ambitieux. Les technologies et le contexte sont déterminants, la compréhension du cerveau est une ressource qui ouvre à de nouveaux paradigmes pour la qualité des relations humaines.

B-LECERF-THOMASContribution de Bernadette LECERF-THOMAS
Auteure de :
Activer les talents avec les neurosciences, du talent individuel à l’intelligence collective, PEARSON 2012
Neurosciences et management, le pouvoir de changer, EYROLLES 2009, 2014
L’informatique managériales, relations et approche systémique, HERMES 2006

Bibliographie

  • Bernard CROISILE, Tout sur la mémoire, Odile JACOB 2009
  • Olivier HOUDE et Gaëlle LEROUX, Psychologie du développement cognitif, PUF 2009
  • Joseph LEDOUX, le cerveau des émotions, Odile JACOB 2005
  • Vilayanur RAMACHANDRAN, le cerveau fait de l’esprit, DUNOD, 2011
  • Paul ZAK, Truct, morality and ocytocin, TED

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