Quelle Intelligence Economique pour les entreprises et les pouvoirs publics ?

6 février 2012 | ACTUALITÉS, Entreprises et cultures numériques

Retour sur le colloque : « l’Intelligence Economique en colloque à Bercy », colloque né d’un partenariat CIGREF – SCIE organisé le 13 janvier à Bercy. Les DSI évoquent  l’Intelligence Economique au sein de leur entreprise et les responsables du Service de Coordination à l’Intelligence Economique évoquent l’organisation au sein des pouvoirs publics.

La Table ronde « Optimiser le leadership de la fonction SI dans le monde numérique », animée par Pascal Buffard, Président du CIGREF, a rassemblé Dominique CUPPENS, DSI Réseau Ferré de France, François GUYOT, DSI Corporate, PLASTIC OMNIUM, Jean-Marc MONTI, DSI du Groupe SAUR, Maurice MEYER, DSI Alstom Transport.

La présentation de l’Intelligence Economique à Bercy est faite par Jean-Michel Jarry, Adjoint au Coordonnateur ministériel à l’Intelligence Economique, Claude Rochet, Directeur du laboratoire de recherche et de la formation en Intelligence Economique du SCIE et Dominique Lamiot, Secrétaire général des Ministères économique et financier.

Définir les voies d’une co-évolution entre secteur public et secteur privé…

Pascal Buffard présente les objectifs de cette table ronde : « Stimuler l’évolution des pratiques d’Intelligence Economique au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurité de notre économie, voila un thème qui est parfaitement d’actualité en ce début d’année 2012 ! ».

Extraits de son intervention :

Durant ces dix années dernières années, le monde occidental dans lequel nous vivons a subi des crises dont la fréquence et l’intensité n’ont cessé de s’accroître. Le secteur financier et l’ensemble des entreprises ont été les premières atteintes. Les Etats eux-mêmes sont désormais en première ligne. Leur capacité à s’entendre et à coopérer est, et sera, déterminante pour rétablir la confiance nécessaire au rétablissement de l’économie et la prospérité des générations futures. Nous ne pouvons évidemment que souhaiter qu’ils y parviennent. Quoiqu’il en soit, le monde ne sera plus jamais comme avant.

Dans ce monde de plus en plus incertain, les grandes entreprises françaises ont, sans attendre, revu leur stratégie pour accélérer leur développement dans les marchés en forte croissance, tout en étant plus sélectives dans les marchés matures dans lesquels segmentation et innovation différenciante sont désormais les maîtres mots. Partout la recherche d’efficacité et d’efficience est devenue un « must » et pas uniquement dans les grandes entreprises mais également dans les administrations.

Dans cet environnement où la globalisation, la mise en commun des expertises et des savoirs faire et la focalisation client sont devenus des incontournables,  les entreprises et les administrations sont sorties de leurs frontières physiques, mettant en œuvre de nouveaux modèles d’affaires dans lesquels la coopération se déploie à marche forcée.

La ressource numérique comme facteur de performance

Nous assistons concomitamment au déploiement à large échelle de nouveaux usages numériques allant de l’évolution des interfaces tactiles et vocales qui deviennent comme des extensions du corps humain, jusqu’à l’émergence de nouveaux comportements et de cultures numériques. Les frontières entre la sphère professionnelle et la sphère privée s’estompent. C’est la raison pour laquelle le CIGREF est associé au développement d’une chaire des Cultures numériques avec l’Université de Laval (Quebec), sous la Direction de Milad Doueihi.

La maîtrise de la technologie et le management fluide et cohérent de l’information sont au cœur des ces évolutions. La fonction SI a  un rôle central à jouer dans leur avènement en maîtrisant les fondamentaux liés à la technologie, mais également en fédérant les directions métier et leurs partenaires dans la mise en œuvre efficace de l’entreprise en réseau au service de ses clients.

 A l’occasion de ses 40 ans le CIGREF, Réseau de Grandes Entreprises, s’est donné comme ambition de « promouvoir la culture numérique comme source d’innovation et de performance ». Bien que nombre d’entre vous en soit déjà persuadé, je tiens à vous dire que cette ambition n’est pas un simple slogan marketing. Elle est inscrite dans nos gènes. Paraphrasant à la fois, Pierre Lhermitte président fondateur du CIGREF et Bruno Menard dans le livre « L’entreprise numérique : Quelles stratégies pour  2015 », je dirais que « Le numérique apparaît alors inséparable de l’entreprise dans laquelle il s’implante, modifiant l’écosystème qui le fait naître, se modifiant lui-même en fonction de cet écosystème au point d’en devenir l’une des caractéristiques». Les auditeurs assidus que vous êtes auront bien sur identifiés que dans cette citation seuls deux mots ont été modifiés : « numérique » à la place de « informatique » et « écosystème » la place de « milieu » !

Depuis plus de 10 ans, nous avons agit pour identifier les mécanismes de création de valeur par l’usage des systèmes d’information. Aujourd’hui, le CIGREF renouvelle cet engagement en l’élargissant à l’ensemble des problématiques du monde numérique et des transformations d’entreprise qui en découlent… pour faire en sorte que la Ressource Numérique soit pleinement considérée comme un facteur de performance, valorisée, optimisée et pilotée avec la même attention et intensité que les autres ressources de l’entreprise (humaines, financières, juridiques etc.). Vous l’aurez compris nous avons une ambition claire de mettre le CIGREF et la fonction SI au cœur de la transformation numérique de nos entreprises.

Nous nous sommes donnés, avec la Fondation CIGREF et l’écosystème dynamique et international qu’elle fédère, les moyens de notre « autonomie de pensée et de vision ». Nous allons utiliser cette capacité pour influencer largement de nouveaux publics, dont nos dirigeants, et ainsi contribuer au succès économique de nos entreprises et au développement durable de la France.

Témoignages des Directeurs des Systèmes d’Information (DSI)

Dominique CUPPENS, DSI de Réseau Ferré de France

Pour reprendre ce qu’a dit Claude Rochet, le réseau ferroviaire non plus n’a pas attendu le numérique pour se créer ! En fait, il s’est développé entre 1840 et 1880, alimenté par la science thermodynamique permettant les moteurs à vapeur et par la technologie de l’acier, avec lorsque nous regardons les cartes le besoin déjà présent de permettre aux personnes et aux biens de traverser aisément les frontières des pays, le transport ferré n’ayant à l’époque pas de réel concurrent. La France a eu à cette époque jusqu’en 1920 une logique d’innervation du territoire en étoile autour de Paris jusqu’aux sous-préfectures, que l’on peut comparer à l’Allemagne qui avait comme souci de transporter ses troupes et canons à ses frontières ; nous en vivons encore les conséquences aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les difficultés que nous rencontrons pour assurer du transport de fret à travers le territoire national…

Réseau Ferré de France s’est créé en 1997, dans un contexte d’ouverture du système ferroviaire européen décrété en 1991, avec comme objectif de permettre aux différentes compagnies ferroviaires d’acheminer leurs trains à travers toute l’Europe et de développer des services nouveaux dans un marché concurrentiel. Les systèmes d’information qui permettent à un train d’être acheminé dans des conditions de service variables, fonction des différents types de trafic et qui doivent s’interconnecter au niveau européen, sont extrêmement complexes, ce qui est rendu possible aujourd’hui par une autre science thermodynamique, la théorie de l’information de Shannon, et la puissance technologique de l’Internet.

Pour permettre aux différents acteurs d’inter-opérer (interaction maîtrisée virtuelle du train et du rail dans toutes les conditions d’emploi et à toutes les échelles de temps) dans les conditions attendues de sûreté et d’évolutivité, le système d’information est soumis à une nécessaire modélisation complexe et précise de tous les éléments pour bien maîtriser l’impact et les engagements de service qui sont les nôtres. Modélisation des architectures fonctionnelles, logicielles, des objets métiers, des modèles de données, des règles de gestion, des normes d’interconnexion très complexes, alimentant une chaîne de valeur unique, partant d’un système d’information qui comporte aujourd’hui une centaine d’applications pour évoluer vers une chaine d’information unifiée, transportant des données cohérentes et justes…

Il convient pour se faire de questionner le Métier afin de savoir quel est son modèle d’activité tel qu’il le projette, quels sont ses processus et ce qu’il fait pour avoir des données de qualité… La question se pose de croiser ces données de qualité, de façon à permettre d’alimenter les décisions à prendre : comment un changement local sur un réseau se propage négativement et, on l’espère, plus positivement sur la globalité du réseau en faisant jouer les effets de leviers du réseau ferroviaire. Par exemple, comment permettre à un grand constructeur automobile de bien appréhender la qualité de service qui doit être la sienne pour les 250 trains qui transportent ses automobiles, avec le souci également maintenant, par le biais du transport ferroviaire, d’assurer une contribution à la réduction de l’effet de serre. Et sur un plan global, comment optimiser les investissements pour restructurer un réseau qui est aujourd’hui fondamentalement bouleversé par les nouveaux enjeux et les nouveaux besoins qui se font jour.

Pour en venir à la question posée dans cette tribune du leadership au sein du système d’information, je pense qu’il convient de développer une notion d’autorité, au sens anglo-saxon du terme (« Authority ») ? C’est un exercice positif et collectif, transverse de la fonction Système d’Information, mis à la disposition du bien public, mais avec comme prérequis majeur pour pouvoir l’exercer de proposer une qualité de service la plus parfaite possible et être ainsi un interlocuteur crédible. En cette période de vœux, on ne peut souhaiter que DSI et Dirigeants puissent être à même de mieux appréhender de façon équilibrer les enjeux de complexité que porte en eux-mêmes l’évolution de nos activités de plus en plus intégrées (« B-to-X ») tel que cela se traduit dans nos systèmes d’information !

François Guyot, DSI Corporate, PLASTIC OMNIUM

Le Groupe Plastic Omnium a deux grandes activités. Une activité orientée automobile, où nous sommes fournisseur de rang un des grands constructeurs de la planète, pour des éléments de carrosserie en matière plastique et des réservoirs à carburant.

La deuxième activité est une activité dite « Environnement », historiquement axée sur la production de bacs roulants, c’est-à-dire des « poubelles ». De nouveaux services au client accompagnent  cette activité. A titre d’exemple, tout le monde a entendu parler de la « redevance incitative ». Bientôt, vous paierez le juste poids et le juste prix des déchets que vous mettrez dans vos « poubelles ». Cela remplacera, pour la collectivité publique, la traditionnelle taxe sur les ordures ménagères. Les équipes DSI construisent et exploitent les technologies Systèmes d’Informations permettant l’identification, le pesage, la collecte des informations, les mécanismes, disons de « facturation », même si cela est en fait plus complexe…

Un des enjeux du Groupe est aussi de construire des usines, des sites industriels, que cela soit des usines de fabrication ou des entrepôts implémentés près des usines d’assemblage des constructeurs. La démarche système d’information est intégrée au process projet de création de l’usine, et s’exécute de la même façon que le process industriel classique d’implantation des infrastructures de production, d’énergie…

Autre fonction du Système d’Information, c’est la fonction de soutien. « On fait » de la gestion de production, de la comptabilité, de l’assurance qualité, etc., comme dans toute autre entreprise. L’entreprise investit également sur son savoir-faire, sa base de connaissance, en particulier sur les différents procédés de fabrication. La vraie difficulté est de savoir organiser la contribution à l’alimentation de ce savoir-faire d’une part, et au référencement de ce savoir-faire d’autre part. Et puisque nous sommes sur des marchés émergents, il faut aussi savoir diffuser ce savoir-faire correctement, c’est-à-dire aux bonnes personnes qui sont dans les équipes méthodes, production, etc… qui sont sur les sites en évitant qu’il y ait des fuites de ce savoir-faire à l’extérieur.

Pour avoir « tutoyé », à l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale), quelques concepts d’intelligence économique, je pense qu’au niveau des entreprises, on ne connait pas assez la contribution publique qui existe, qui est disponible, quand on a des problématiques d’implémentation, de veille concurrentielle, de positionnement, ou d’investigation dans les différents pays dans lesquels on veut s’implanter.

Ce que notre DSI essaie de faire, c’est d’amener notamment nos dirigeants à contribuer plus spontanément à l’ère numérique, à ne pas rester dans des schémas traditionnels de hiérarchie pour faire « descendre » ou faire partager la bonne information aux gens qui doivent l’avoir.

C’est un chamboulement complet qui est apporté par les technologies. Nous essayons de faire que notre pouvoir d’influence soit un pouvoir d’influence pour « créer plus de valeur » puisque c’est quand même la vocation première de l’entreprise. Mais aussi un pouvoir d’influence pour pouvoir réorienter la logique produit-marché sur laquelle l’entreprise est fondée…, ce qui est très actuel aujourd’hui dans notre activité « Environnement ».

Maurice Meyer, DSI Alstom Transport

Alstom est une entreprise que l’on pourrait qualifier de type moderne, avec un grand héritage industriel. Nous avons deux secteurs d’activité qui sont l’énergie électriques et le ferroviaire. Je suis le DSI de la branche transport lié au développement de matériel et à la maintenance de matériel ferroviaire.

Ce qui m’interpelle, c’est la difficulté pour un groupe industriel de régler la contradiction qui existe entre la volonté de bouger, la volonté de bouger vite, la volonté d’exploiter ce que la technologie permet, et la difficulté du temps de mise en œuvre, la difficulté de la conduite du changement, la difficulté de la modification des processus. Et, par rapport à des concurrents qui pourraient entrer sur ce marché, cette contradiction-là complique encore la bagarre sur la compétitivité.

Typiquement, si aujourd’hui on devait créer l’entreprise, on n’imposerait pas des PC standards, des applications clients lourdes… notre héritage fait que ceci nous est compliqué parce que les documents techniques sont dans un certain format, que le savoir est positionné dans des systèmes qui nous en empêchent. Alors, d’un côté, c’est une contrainte, mais cela peut aussi être une force, par rapport à ce qu’a dit Jean-François Pépin sur le choix du dirigeant « entre naïveté ou paranoïa » !

En 2008, nous avons été force de proposition quand nous avons réussi à convaincre les dirigeants de se lancer dans la promotion d’espaces collaboratifs, des Wikis, des blogs. On a imaginé un YouTube interne, où les gens pouvaient poster des vidéos sur la façon de réparer telle ou telle chose ou pour partager un savoir-faire… Cela n’a pas réduit ce qui est publié à l’extérieur dans les réseaux sociaux  publics. Il y a plusieurs milliers de groupes sur Facebook, LinkedIn, etc. où des gens parlent, échangent sur l’entreprise.

En travaillant sur la façon de mieux utiliser le digital dans la conception de nos produits, nous avons créé un intérêt et un désir auprès de nos directions générales. Désir de réfléchir d’une manière plus structurée et plus organisée sur la façon de profiter des technologies numériques pour améliorer et simplifier nos offres de produits et de services., Le numéro deux du groupe vient de lancer un cercle de réflexion interne sur ce sujet-là. L’informatique est partie prenante, mais aussi le marketing, la direction de la stratégie. C’est le résultat d’échanges, de conviction, de persuasion pour susciter l’intérêt jusqu’au niveau le plus élevé du groupe.

En parallèle, la Direction des Systèmes d’Information a lancé un comité d’innovation, qui est assez proche du projet E-veil qui nous a été présenté, sur la collecte d’idées, de proposition du filtrage, du classement… C’est animé par la fonction informatique, en associant des représentants des métiers et cela va certainement se relier à une initiative plus large au niveau du groupe, pour mieux explorer, exploiter les technologies du numérique…

Je crois que pour changer l’entreprise et pour aller plus vite, quand on est historiquement moderne et qu’on veut passer au post-moderne comme l’a évoqué le Professeur Bounfour avec les travaux de la Fondation CIGREF, il faudrait pouvoir expliquer aux gens, les former, les soutenir, mais cela ne se fait pas en une nuit !

Jean-Marc Monti, DSI du Groupe SAUR

L’activité principale du groupe Saur concerne la gestion de services liés à l’environnement. Historiquement, notre cœur de métier est la gestion de services publics d’eau et d’assainissement pour le compte de collectivités publiques. Nous intervenons, en France et à l’international, sur l’ensemble du cycle de l’eau, depuis la production d’eau potable jusqu’au traitement des eaux usées, en passant par la conception, la construction et l’exploitation d’ouvrages et la maintenance d’équipements et de réseaux. Le groupe Saur s’est diversifié et est également présent dans des activités de propreté : collecte, tri, traitement et valorisation de déchets ménagers et industriels. De façon plus générale, nous essayons de prendre position sur l’ensemble des besoins exprimés par les collectivités en lien avec l’évolution des cadres réglementaires, sanitaires ou environnementaux liées à nos activités.

Nous sommes confrontés à trois problématiques qui sont en rapport avec l’explosion du numérique. En tant qu’entreprise de services à l’environnement, nous sommes extrêmement concernés par la préservation de la ressource en eau. C’est peut-être paradoxal, parce que notre chiffre d’affaires est directement proportionnel au volume d’eau consommée, mais nous proposons des solutions à nos clients pour les aider à rationnaliser cette consommation d’eau, ce qui se traduit par exemple par le développement de la généralisation de capteurs d’eau « intelligents ». Nous installons des capteurs sur notre réseau et sur les compteurs des particuliers pour nous permettre d’identifier ou de prévenir les fuites et pour mieux connaître les points faibles de nos réseaux. Ces évolutions auxquelles sont confrontés nos métiers, sont à l’origine de quantités importantes de données que l’on gère au niveau du système d’information.

D’une donnée élémentaire que l’on captait deux fois par an, l’index de consommation, nous sommes passés à un flux continu de données que nous pouvons capter une fois par heure. C’est un peu comme si nous étions habitués à travailler avec des photos et que nous devions désormais traiter l’intégralité d’un film. La nature de la donnée s’en retrouve fortement modifiée et il est intéressant de suivre cette évolution, tant sur le plan technique que fonctionnel.

La seconde problématique tient à l’obligation de transparence que nous avons vis-à-vis des collectivités qui sont nos clients. On s’emploie à leur retransmettre le plus d’information possible sur le réseau que l’on exploite pour leur compte et l’explosion des données que nous sommes amenés à traiter nous pose une problématique intéressante sur la façon dont nous devons les restituer. Cela nous renvoie au point précédent sur la nature de la donnée qui nous amène à imaginer d’autres formes de restitution de ces informations.

Le troisième volet que je souhaitais évoquer, concerne notre rôle vis-à-vis de l’entreprise et des métiers, autour de la gestion de ces données et sur notre positionnement de DSI. Après tout, la question qui se pose, c’est moins d’avoir à suivre l’explosion des données numériques, parce que nous y sommes tous contraints, et que nous accompagnons naturellement cette évolution, que les attentes, explicites ou pas, des métiers par rapport à ces données.. En tant que gardiens du temple, nous étions positionnés  jusqu’à présent dans un rôle de contrôle, nous garantissions la qualité de la donnée en mettant à disposition des métiers des outils et des applications qui facilitaient ce processus de validation.

Est-ce que demain, face à l’explosion du numérique, nous serons encore en mesure de garantir cette qualité ? Il est vraisemblable que le niveau d’exigence de nos métiers ne variera pas et qu’il sera nécessaire de nous adapter et la problématique qui se posera alors (qui se pose déjà) sera de trouver un compromis satisfaisant entre le collaboratif et le contrôle. Savoir conjuguer cette naïveté à venir et la paranoïa dont vous parliez tout à l’heure.  Ce sont les enjeux d’aujourd’hui sur ce thème et que nous évoquons avec la direction générale et avec les métiers…

L’Intelligence Economique vue par le SCIE – Bercy

Jean-Michel Jarry, Adjoint au Coordonnateur ministériel à l’Intelligence Economique

Depuis 2006, date de mise en place au sein de Bercy d’un Coordonnateur ministériel à l’intelligence économique, nous avons commencé à concevoir et réaliser un système s’appuyant sur une ingénierie d’intelligence économique, permettant de travailler sur l’information (recherche, collecte, traitement, validation, analyse et diffusion). Peut-être le savez-vous, mais Bercy est certainement l’un des premiers producteurs d’informations économiques  de notre pays. Mais, Bercy c’est également un mode de gouvernance de type  « silo », ce qui reconnaissons-le,  n’est pas un mode très bien adapté au partage et à la mutualisation de l’information.

Pour nous, le concept de l’IE est très simple. L’intelligence économique est une démarche qui permet de faire de l’information, quand on en dispose au bon moment, un véritable avantage concurrentiel pour qui sait l’utiliser et la maîtriser. Nous sommes totalement dans une démarche d’amélioration de la compétitivité des acteurs économiques, notamment des entreprises, de notre dispositif d’accompagnement et de soutien et plus globalement de notre potentiel économique et technologique.

Concernant les méthodes de la recherche de l’information, notamment sur l’internet, vous avez eu préalablement une présentation du projet E-Veil (outil automatisé de veille stratégique) qui couvre les deux ministères, le ministère de l’Economie des Finances et de l’Industrie et le ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’Etat, et qui sera installée au cœur du système d’information de Bercy. Je n’y reviens donc pas.

Concernant la nécessité de protection de l’information, et de la sensibilisation aux notions de sécurité, le discours passe très bien auprès de nos interlocuteurs. Par contre, il peut être parfois plus compliqué d’expliquer l’aspect dit « offensif », c’est-à-dire la façon d’utiliser l’information comme un avantage concurrentiel.

Un autre aspect complexe au sein d’un univers cloisonné tel que Bercy, touche à la diffusion  de cette information. Comment la partager et la diffuser en interne, mais aussi à l’extérieur.

Un petit rappel de l’environnement. En septembre 2011, a été publiée une circulaire du Premier Ministre qui a fait de l’intelligence économique une partie constituante de la politique économique au service de la croissance de l’économie ainsi qu’à la préservation et la création d’emplois sur le territoire national. L’intelligence économique est devenue une politique publique (PPIE) qui nécessite dorénavant une sensibilisation et une mobilisation de nos structures jusqu’au niveau régional, via les préfets de région. Elle est définie et mise en œuvre par l’intermédiaire du Délégué Interministériel à l’Intelligence Economique, Olivier Buquen. Celui-ci est désormais rattaché à la Présidence de la République. Petite originalité, au niveau de la sociologie administrative, le Délégué interministériel est positionné à Bercy, car c’est à Bercy que se trouve le cœur de l’activité économique, et à tout le moins des thématiques qui touchent aussi bien les entreprises que l’environnement financier, fiscal, etc. dans lesquels elles évoluent.

Concernant nos services déconcentrés, une action de fusion et de rationalisation des structures a été entreprise, avec  l’idée d’arriver à des directions (les Directions régionales des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l’emploi – Direccte) regroupant  ce qui était autrefois commerce extérieur, industrie, innovation, mais aussi tourisme, commerce, artisanat… organisées autour de trois pôles :
– Un pôle  concernant directement tout ce qui tourne autour de l’entreprise, dans ses divers aspects : emploi, concurrence, innovation, international, technologies, mais également intelligence économique etc.
– Un second pôle qui concerne aussi les entreprises mais sous un tout autre angle, à savoir le respect du droit du travail;
– Et un troisième pôle concernant les aspects répression des fraudes, consommation et concurrence.

Les missions du SCIE

Le Service de coordination à l’intelligence économique exerce des missions transversales et nous sommes rattachés au Secrétariat Général. L’une des missions, comme le nom l’indique, est une mission de coordination de l’IE à l’intérieur de Bercy, administration  compliquée qui rassemble 27 directions, soit au total quelques 170.000 agents. Au travers de cette mission de coordination, il s’agit de mobiliser nos directions, aller chercher l’information, l’identifier pour pouvoir l’utiliser ensuite de manière plus coordonnée et cohérente, plus transversale, et introduire les actions de veille évoquée avec E-Veil de façon plus systématique et professionnelle. Nous avons également un réseau spécifique IE au travers de 22 chargés de mission régionaux à l’intelligence économique positionnés dans les Direccte, et qui ont notamment à préparer et mettre en place des plans de veille régionaux stratégiques arrêtés par les préfets de région.

Parmi les autres priorités, celle de travailler sur le développement de l’influence de notre pays, par exemple dans les institutions européennes ou internationales plus généralement, mais aussi dans un certain nombre d’ONG telle que « Doing Business » qui tente d’établir une sorte de baromètre de la facilité avec laquelle on peut faire des affaires, du business dans un pays, ou encore « Transparency international » qui établit le palmarès de la corruption. Tous ces classements, parmi lesquels on peut signaler le classement très connu de Shanghai, contribuent incontestablement à positionner les pays, à en donner une image plus ou moins flatteuse et il ne faut pas les négliger.

Vous voyez bien que toutes ces réflexions, incitées et animées par l’administration, doivent associer étroitement les représentants des entreprises des grands secteurs industriels, des organisations professionnelles, et d’un certain nombre d’acteurs et de partenaires qui les accompagnent.

Si nous sommes évidemment très orientés sur les outils numériques et les technologies de l’information, autant d’atouts permettant de mieux maîtriser l’information, il n’en reste pas moins vrai que les réseaux humains sont indispensables. A cet effet, nous avons mis en place un réseau d’informateurs économiques au niveau des régions, des « capteurs » qui nous font remonter l’information. Le croisement de l’information récupérée de manière automatique par des outils de veille sophistiqués avec les informations de terrain  remontant du territoire via le réseau humain, permet d’avoir une information plus riche et surtout donne une vision plus complète, et peut-être encore plus pertinente. Bien entendu au sein de cette galaxie de Bercy que je n’ai fait qu’esquisser, sont associés des partenaires comme l’INPI pour la propriété industrielle, l’AFNOR pour la normalisation, Ubifrance pour l’international, l’AFII (Agence Française pour les Investissements Internationaux) dont la mission est de rendre notre territoire plus attractif pour les investissements étrangers et au-delà encore, les Chambres consulaires, l’ADIT, spécialisée sur l’information scientifique et technologique etc…

Pour terminer cette intervention, sachez que nous diffusons chaque mois une lettre d’information qui s’appelle « IE Bercy » et qui est disponible gratuitement sur notre site internet que je vous invite à visiter. Tous les deux mois, nous présentons également dans cette lettre un  cahier spécial sur la veille et ses pratiques, ainsi que sur ses outils. Vous trouverez dans ce cahier  des bonnes pratiques, des expériences, des témoignages, et des informations assez pointues sur l’évolution des technologies dans ce domaine.

Un problème de quadrature du cercle…

Pour illustrer concrètement en quoi consiste cette transformation de l’administration, Claude Rochet, Directeur du laboratoire de recherche et de la formation en Intelligence Economique du SCIE, revient sur cette notion de réseaux évoquée par Jean-François Pépin, le besoin de prendre en compte la vie des réseaux, de ne pas avoir uniquement une pratique administrative qui soit constituée de règles descendantes.

Ici, à Bercy, nous sommes des gens extrêmement intelligents, c’est statutaire ! 😉  C’est même quasiment génétique, mais nonobstant, pour qu’une une règle soit efficace elle doit naître de la confrontation entre les règles, le cadrage émis par le centre et les règles qui vont émerger des jeux d’acteurs. C’est notamment le cas dans les pôles de compétitivité. Si vous avez suivi l’activité de vos entreprises dans les pôles de compétitivité, vous savez qu’on évolue dans une espèce d’écosystème qui n’en est pas un au départ. Ce sont des gens de cultures différentes, qui viennent souvent par effet d’aubaine, sans savoir exactement ce qu’ils vont trouver. C’est à partir de ces jeux d’acteurs que vont émerger des règles, et il va falloir être capable de les codifier.

Nous sommes alors partis d’un problème extrêmement simple, celui de la sécurité, en remarquant que l’on avait émis, en termes de règles formelles, toutes les règles nécessaires à la sécurité. Mais le problème, c’était que cela n’était absolument pas observé, pour une raison simple : si l’on applique toutes les règles de sécurité, vous le savez, on ne peut plus travailler !

C’est un problème de quadrature du cercle ! Dans un pôle, il faut fermer quelque chose dont la nature est d’être ouverte. Souvent, les systèmes conçus ont un coût d’usage, à tous points de vue, qui est bien supérieur au bénéfice ressenti, donc les gens ne les appliquent pas.

Jouer sur la compréhension des règles

Comment avons-nous traité ce problème ? En raisonnant sur la compréhension des règles qui émergent de ces jeux d’acteurs. Ce sont des règles auto-renforçantes créées par l’écosystème, au sein de l’écosystème, des règles endogènes ; et puis les règles exogènes que nous allons fixer.

Le principe est de jouer sur cette rencontre. Pour cela, il faut saisir exactement comment fonctionne le pôle, faire sa cartographie et essayer de comprendre ce qu’est cet écosystème. Au centre se trouvent les joueurs membres du pôle, et autour une multitude d’intervenants : dans le premier périmètre, les partenaires R&D, et, dans le second, une multitude de partenaires administratifs entre l’Etat, les collectivités territoriales, les organismes consulaires, les agences de développement, etc.

Tout cela fait circuler énormément d’information, énormément de papiers, notamment, qui contribuent à une production considérable d’entropie informationnelle, donc de dissipation de l’information.

Nous avons raisonné sur l’optimisation de ces architectures. Il ne sert à rien de mettre en place des systèmes qui vont coûter cher, dès lors que les problèmes de sécurité sont avant tout liés à des processus redondants de circulation de papiers, de demandes de dossiers. Ce sont principalement des éléments de comportement. Nous nous sommes efforcés de comprendre ces écosystèmes d’innovation. Nous allons travailler maintenant avec les partenaires pour comprendre comment on peut optimiser et aller au-delà de la technique pour travailler sur les architectures et les comportements.

Un autre exemple de cette application des raisonnements sur les écosystèmes. Il s’agit de travailler sur les écosystèmes décarbonés. Vous savez que les Chinois commandent maintenant des villes décarbonées, ils ont commandé 500 villes de cent mille habitants, totalement décarbonées. Dans une ville décarbonée, ce qui compte, c’est la cohérence de l’architecture. Il faut un écosystème de gestion de l’énergie,  un écosystème de gestion de l’eau…

Dominique Lamiot, Secrétaire général des Ministères économique et financier a rappelé que Bercy  était heureux d’accueillir ce colloque organisé en partenariat avec le CIGREF.

Si Bercy souhaite être aux avant-postes de la modernisation de l’administration, modernisation au sens large, que ce soit dans ses process, son organisation, sa manière de fonctionner, c’est parce que Bercy est la « maison » qui porte les politiques publiques de soutien aux technologies de l’information et de la communication. Nous voulons absolument que la France, cela vaut pour les entreprises, mais pas uniquement, ait une parfaite maîtrise des informations qui lui sont utiles, ainsi que de la protection de celles-ci.

Lorsque nous avons lancé la dématérialisation dans nos services, nous avions un certain nombre d’objectifs. Evidemment, parmi ceux-ci le service à nos usagers. Couvrir l’ensemble du territoire de manière efficace, faire en sorte que nos usagers ne soient plus confrontés à des logiques de guichets et des contraintes d’horaires fixes. Nous voulions qu’il soit possible de répondre aux questions, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.

Dématérialiser, informatiser de manière stratégique, nous le faisions aussi parce que cela aide nos collaborateurs, cela diminue les tâches à faible valeur ajoutée qui sont remplacées par des tâches à plus fort contenu. Par ailleurs, si la dématérialisation permet d’améliorer qualitativement nos procédures, elle permet aussi de sécuriser nos échanges. Nous avons commencé à dématérialiser à peu près l’ensemble de nos domaines d’intervention. Sachez que les démarches douanières d’import export représentent aujourd’hui 95% de déclarations dématérialisées. A titre d’exemple, il existe une application sur iPhone et iPad qui permet aux entreprises de réaliser facilement et rapidement leurs procédures de dédouanement. Un tiers des déclarants à l’impôt sur le revenu utilise aujourd’hui la voie dématérialisée, c’est-à-dire plus de 12 millions. Quand nous avons démarré en 2002, il y en a eu entre 10000 et 12000. Nous ne pensions pas être à 12 millions dix ans plus tard. Internet a transformé nos vies. Il est difficile de se projeter dans des techniques qui, pour certaines d’entre elles, n’ont pas été inventées, et qui irrigueront la toile dix ans plus tard.

Avec la dématérialisation, il est maintenant possible de regrouper des moyens pour tenir compte de la baisse d’activité dans une région en train de se ruraliser de façon à les redéployer sur d’autres points du territoire.

Notre stratégie vise à développer une ingénierie de l’intelligence économique. Nous vous avons parlé de « E-veil », notre plateforme informatisée de veille stratégique. Je fonde beaucoup d’espoirs dans ce dispositif.

Nous travaillons également sur les stratégies d’influence que nous menons avec un certain nombre d’entreprises et leurs partenaires pour constituer, de manière informelle, des réseaux d’acteurs par secteurs, faire en sorte que nous ayons ensemble une stratégie pour faciliter l’émergence de champions économiques pour demain, avec un ciblage sur les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI).

Un mot aussi sur ce que l’on appelle le Web 2.0, les réseaux sociaux. Nous avons développé dans la période qui vient de se clôturer, une démarche très orientée « écoute des clients usagers » pour répondre au mieux à leurs attentes. Dans le cadre d’un séminaire sur la qualité rassemblant des partenaires de l’administration et de nombreuses entreprises privées, j’avais tenu à ce qu’il y ait une table ronde qui soit uniquement dédiée aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, l’ensemble des entreprises, dont les petites et moyennes entreprises, peuvent avoir accès à des techniques de communication qui étaient jusqu’à présent l’apanage des grandes. C’est tout l’enjeu des années à venir.

Pour nous, administration, la question est de passer d’une information descendante à une information partagée. C’est le cas, par exemple avec les applications pour iPhone que développe la Direction générale des douanes, pour faire en sorte que les entreprises entre elles, et les entreprises exportatrices s’échangent l’information. En interne, nous initions, avec des collaborateurs, des pratiques dites 2.0, qui nous obligent à revoir notre mode de management, même si c’est forcément déstabilisant pour les hiérarchies.

Notre sentiment aujourd’hui, c’est que nous sommes à une période charnière. Au cours de la période qui s’ouvre devant nous, il faudra exploiter toutes ces potentialités, développer les usages, faire attention à maîtriser les dérives, bien sûr, mais surtout explorer de nouveaux territoires, tant en terme technique qu’en terme de pratiques. Pour en discuter régulièrement avec des praticiens, on a vraiment le sentiment que ce qui est dit et se fait en 2012 se vivra très différemment en 2017. Nous sommes dans un moment d’accélération, où la mesure du pas en terme temporel, ce n’est pas la décennie, ce n’est pas a fortiori les vingt années qui viennent, c’est entre maintenant et les trois ou cinq ans à venir. Nous allons faire en sorte, avec vous, entreprises, d’en tirer le meilleur profit pour chacune, chacun d’entre vous, mais aussi, plus généralement pour notre économie.

Au-delà de cette matinée, nous restons à l’écoute de vos attentes, de vos conseils, n’hésitez pas, via le CIGREF ou le Service de Coordination Ministérielle à l’Intelligence économique, à nous faire part de vos suggestions.

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