Les 10 et 11 avril, Deauville s’était mis à l’heure de la « mobilité numérique », invitée par ROOMn pour permettre aux acteurs de l’entreprise numérique de partager leurs expériences sur cet usage qui prend de plus en plus d’ampleur. Se pose en effet la question, non pas simplement de la technologie mais de l’usage qu’elle génère et de son impact sur les stratégies d’entreprises.
Partenaire de l’événement, le CIGREF s’y est exprimé par l’intermédiaire de Marc RENAUD, Group CIO Transdev 1, livrant quelques messages clés sur le thème « le mobile comme accélérateur du changement », aux côtés de :
- Benoît Thieulin, Président du Conseil National du Numérique
- Charles-Henri Besseyre des Horts, Professeur Associé HEC Paris
Convictions sur la mobilité numérique
Ces convictions sont celles de Benoît Thieulin, Président du Conseil National du Numérique.
Retour aux fondements d’internet
Si Internet a été inventé sur des budgets militaires américains, ses pères fondateurs ont bien davantage répondu à révolution pensée chez les étudiants américains révoltés contre la guerre au Viêt-Nam. Ces étudiants en informatique ont accompagné le « saut technologique » qu’ils voyaient s’amorcer. Mais ils avaient surtout une vision sociale et politique de ce que devait devenir l’informatique, porter leurs valeurs de collaboration, de coopération, dans le champ technologique. Cela a donné le micro-ordinateur qui a donné l’autonomie de calcul dont ces étudiants rêvaient de disposer, et à partir du moment où chacun avait son autonomie de calcul, il fallait bien un réseau pour coopérer et collaborer !
Il faut garder en tête ces fondamentaux, parce que c’est probablement dans cette alchimie très particulière qu’a été donnée l’onde de choc de la révolution numérique qui continue jusqu’à nous.
Le brouillage des frontières
Cette révolution numérique s’accompagne d’un brouillage de l’ensemble des frontières. Je ne suis plus à mon bureau, je ne suis plus à un moment déterminé devant mon écran d’ordinateur, je peux travailler aussi bien dans mon taxi qui se transforme en bureau virtuel que dans le métro. Les temps eux-mêmes sont en train de se mélanger ; il est désormais difficile de faire une séparation entre ce qui est de l’ordre du moment privé et du moment professionnel. Avec les réseaux sociaux, il devient aussi parfois difficile de savoir quand on s’exprime dans un sens privé ou public selon le média social que l’on va utiliser, ce qui peut affecter l’e-réputation de l’entreprise.
Ainsi, le fait de disposer d’un accès permanent à internet, dans une situation où l’on ne sait plus très bien si l’on est à son bureau ou dans un cadre privé, a tendance à redistribuer complètement les cartes et rendre l’ensemble de l’organisation et des règles d’entreprises beaucoup plus difficiles à gérer.
La confiance s’impose
L’une des valeurs essentielles du mobile que l’on embarque dans sa poche est d’être un prolongement de notre corps. Demain, on pourra savoir en permanence qu’elle est ma température, quel est mon rythme cardiaque, y compris dans l’entreprise. Si les dirigeants perdent certains contrôles, on voit bien qu’ils peuvent en récupérer d’autres en ayant un état réel de ce que font et sont leurs employés. Cet aspect Big Brother pose énormément de questions et peut déréguler totalement l’organisation des entreprises.
Face à cela, difficile de vouloir reprendre totalement le contrôle. On va de plus en plus vers une organisation dans laquelle la confiance en tant que telle va faire partie, une grande partie de nos échanges, et bien des questions auxquelles nous sommes confrontés dans cette révolution sont encore en suspens.
Face à une nouvelle culture
Pour Benoît Thieulin, ces évolutions profondes nous placent face à une nouvelle culture. Il semble difficile de ne pas en prendre le pli. Sans être naïf, sans penser que cela ne pose pas de nouvelles questions, qu’il n’y a pas des risques, mais les entreprises vont devoir s’adapter pour être capables de faire le lien entre les générations X et Y, qui ont des réflexes culturels, des modes de travail, une organisation, une mentalité, des esprits qui sont aujourd’hui extrêmement différents.
L’impact du nomadisme sur les RH
Charles-Henri Besseyre des Horts, Professeur Associé HEC Paris où il enseigne les Ressources Humaines, rappelle que l’on s’est très tôt préoccupé de l’impact du nomadisme sur le rôle de l’humain en entreprise. Même si les travaux de recherche se sont d’abord penchés sur la technologie avant de l’aborder sous l’angle des usages, donc sur les questions organisationnelles et humaines.
Ne pas confondre « mobilité » et « télétravail »
Nombre de travaux ont approché les thèmes du « distance working » et du « virtual styling », et il y avait une sorte de confusion. Entre mobilité et télétravail, certes il existe un lien, mais l’un n’est pas inclus dans l’autre, l’un ne recouvre pas la totalité de l’autre et l’on peut être en télétravail sans être jamais mobile. La question-même du télétravail est celle du lieu où s’exerce le travail au quotidien, sans qu’il soit nécessairement mobile.
Il y a une dizaine d’années, la mobilité était quelque chose d’impensable. Elle est par exemple dans les dix minutes que je vais passer un dimanche à répondre à mon patron qui vient de m’envoyer un mail. Là, je ne suis pas en télétravail, je suis sur un temps qui n’est normalement pas consacré au travail. Cette disponibilité crée un autre type d’organisation qui a d’ailleurs des conséquences. Cela peut être pratique de répondre un dimanche à son patron qui pose une question. Mais cela peut aussi avoir de mauvais effets, parce que l’on n’est pas forcément dans une situation qui permet d’avoir l’esprit libre et on ne dispose pas forcément non plus des bonnes informations, ce qui peut engendrer des ratés.
Conséquences de la mobilité sur l’organisation de l’entreprise…
Il faut être conscient que le fait de pouvoir être joignable, d’avoir globalement accès d’un peu partout à une grande partie de ses informations, a énormément de conséquences sur la forme d’organisation d’une entreprise.
Cela demande d’inventer de nouvelles règles de fonctionnement et aussi en matière d’éducation et de formation.
La mobilité est complètement entrée dans les usages de la société. Ce sont 70% des 18-29 ans qui sont équipés d’un smartphone et aujourd’hui ces utilisateurs attendent de pouvoir s’en servir partout, dans les endroits publics, par exemple le bus et le tramway.
Si l’entreprise ne permet pas à ses collaborateurs l’utilisation des technologies mobiles, d’autres le feront. Partenaires, clients, vont l’exiger. Il sera particulièrement difficile, notamment pour les grandes entreprises, d’attirer cette génération qui aura été formée et habituée à cette ubiquité, sans lui permettre d’avoir un pied dans le monde professionnel et en même temps de répondre au commentaire d’un ami sur Facebook.
L’entreprise doit prendre compte et savoir créer un environnement susceptible de s’attirer les meilleurs talents de cette génération. C’est devenu un élément compétitif majeur.
Plus que le secret, la transparence, l’agilité, la réactivité…
Aujourd’hui, l’information se périme de plus en plus vite. Axer sa stratégie sur le secret, en érigeant des barrières et des frontières pour protéger cette information, qui de toute façon va perdre de la valeur, n’est pas la meilleure réponse. La valeur d’une entreprise sera beaucoup plus dans son agilité, dans sa capacité à s’adapter, dans sa vitesse de réactivité.
Avec la mobilité, nous allons vers des entreprises qui seront plus poreuses, cela fera partie de leur valeur ajoutée de demain.
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Cet article s’appuie sur les notes prises pendant ce débat avec les risques d’interprétation que cela induit, il n’engage donc pas les personnes citées.