Le 24 juin 2019 avait lieu la 2ème conférence de presse du Cigref sur les relations entre les grandes entreprises et administrations publiques, et leurs fournisseurs de services numériques. A cette occasion, Bernard Duverneuil, Président du Cigref, et Philippe Rouaud, Président du Club Relations fournisseurs du Cigref, sont revenus sur les pratiques illégitimes de certains grands fournisseurs qui perdurent. Ils ont réinterrogé le modèle d’affaires des fournisseurs au regard des défis économiques et socio-environnementaux à relever. Ils ont appelé les fournisseurs à revenir à un modèle d’affaires équilibré et aligné sur la valeur réelle.
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Des pratiques régulièrement dénoncées, qui n’ont pas changé.
Le Cigref, comme de nombreuses associations d’utilisateurs de services numériques, dénoncent régulièrement les pratiques illégitimes de certains grands fournisseurs. Ces derniers font peser de manière disproportionnée sur leurs clients le coût de leur conversion dans le cloud. Ce faisant, les entreprises clientes déplorent que la force commerciale des fournisseurs adopte des comportements de « chasseur de prime », favorisés par un modèle de rémunération qui valorise davantage le « vendre plus » que le « vendre mieux ». C’est-à dire que le conseil et la valeur ajoutée pour le client.
Pour maintenir une croissance à deux chiffres sur un marché mature, avec un niveau de services jugé en baisse, des fournisseurs s’assurent des revenus récurrents au travers de leur modèle de contractualisation (contrats de licences, de souscription, et de support) et de leur modèle de tarification.
Le modèle économique du contrat de support (recalculé, en cas de baisse du nombre de licences, pour rester à coût constant), les bouquets d’offres, l’application de majorations en cas de réduction du volume de souscription ou de licences… ne sont que quelques exemples de ces pratiques tarifaires contestées par les clients.
Le manque de clarté de certaines clauses contractuelles et de certaines métriques, interprétées à l’avantage des fournisseurs, contribuent à accentuer cet effet cliquet.
Enfin, la pratique des fournisseurs, qui consiste à approcher directement les directions métiers et à contourner les équipes de la DSI, malgré la gouvernance de la relation client/fournisseur mise en place dans les grands groupes, a plusieurs conséquences :
- le développement du shadow IT,
- une complexification de l’urbanisme et des architectures IT,
- ainsi qu’une inflation des budgets IT. Cette pratique représente par ailleurs un risque pour l’intégrité des systèmes, dont la DSI est garante.
La riposte s’organise.
Dans ces conditions, même si la démarche est longue et coûteuse à court terme, les clients sont de plus en plus nombreux à réduire l’empreinte des grands fournisseurs du numérique dans leur système d’information. Et à réfléchir à des stratégies de sortie par la recherche d’alternatives, open-source notamment. L’explosion des couts de licences et de support tend à rendre économiquement viable voire attractive les démarches de sortie.
Le groupe de travail du Cigref « Open-source, alternative aux grands fournisseurs » a connu un franc succès en 2018 (68 organisations pour 124 collaborateurs participants, 7 réunions). Il a été poursuivi en 2019, après la publication du rapport éponyme, pour répondre aux demandes de membres du Cigref en recherche d’alternatives aux grands fournisseurs. Le marché s’organise aussi, pour favoriser les alternatives open-source.
De plus en plus de groupes affichent publiquement leur rupture avec leurs fournisseurs historiques ainsi que leur choix de services de support prestés par des fournisseurs tiers, comme RiminiStreet et Spinaker, afin de réduire leurs coûts de maintenance Oracle et SAP. Le choix d’un tiers mainteneur est principalement motivé par le constat de l’effet ciseau entre l’inflation des services de support et leur baisse de valeur, au fil des années. Ce choix constitue souvent le 1er jalon vers une sortie à terme.
Enfin, comme le signalait lors de la conférence, le pilote des travaux « Alternatives aux grandes fournisseurs », le Cigref observe au sein de ses entreprises membres une recrudescence des politiques de développements internes. Cette 3ème voie présente l’avantage pour les entreprises de se créer un actif immatériel dont elles sont les propriétaires et qu’elles peuvent déployer à moindre frais. C’est aussi une manière de valoriser leur expertise sur le marché.
Des questions cruciales autour de la sécurité des données et des systèmes, qui restent sans réponse.
Mis en place depuis 1 an, le RGPD a contribué à élever sensiblement le niveau de vigilance, d’exigence et d’expertise des entreprises dans le domaine de la protection et de la sécurité des données, qu’elles soient personnelles ou business. Nombre de fournisseurs ne satisfont toujours pas aux exigences légitimes des grands groupes sur le plan contractuel et opérationnel.
Sans revenir sur les exemples régulièrement fournis par la presse de fuites de données clients ou de failles de sécurité chez des fournisseurs, le Cigref souhaite éclairer le désaccord entre les entreprises utilisatrices et leurs fournisseurs sur l’interprétation de la conformité au RGPD. Les clients sont contraints de travailler avec les contrats standards des fournisseurs mais sont seuls responsables des erreurs de leurs sous-traitants. Confrontés à la rigidité du cadre contractuel, les clients dénoncent deux phénomènes. D’une part, des négociations excessivement longues (de 6 à 18 mois) et consommatrices en ressources, qui aboutissent juste avant la date de clôture des comptes du fournisseur (quand elles aboutissent !). Les entreprises sont donc dans une boucle de négociation perpétuelle avec leurs fournisseurs. D’autre part, que le contrat proposé par les fournisseurs s’apparente davantage à un contrat d’adhésion qu’à un contrat de souscription de services.
Enfin, dans un contexte général de multiplication de textes de nature diverse, régulant les datas entre l’Europe et les Etats-Unis, qui maintient les entreprises dans un climat d’insécurité juridique, les réponses apportées depuis un an par les fournisseurs concernant le CLOUD Act sont jugées insatisfaisantes par les membres du Cigref.
Pour quitter le champ de la contractualisation et revenir aux pratiques commerciales, un nombre grandissant de sociétés dénoncent la marchandisation de la sécurité par les fournisseurs. A quand une Security by design qui ne soit pas en option payante mais nativement intégrée aux services numériques ?
Des questions sur la légitimité du modèle d’affaires fournisseurs.
En 2018, le Cigref insistait dans sa 1ère conférence de presse sur l’enjeu du rééquilibrage de la relation entre fournisseurs du numérique et leurs utilisateurs, dans une perspective de performance et d’innovation.
En 2019, constatant que les pratiques dénoncées n’évoluent guère, les membres du Cigref alertent leur écosystème sur les problématiques de distorsion de concurrence liées à certaines pratiques contractuelles et ou commerciales comme les bundles qui s’apparentent à de la vente liée, ou le « droit de bouchon » appliqué par certains grands fournisseurs pour interconnecter les services de fournisseurs tiers et permettre aux clients d’accéder à leurs données. Le licensing inventif des fournisseurs et certains modes de souscription (KPI sur le taux d’attrition, retour au prix catalogue en cas de baisse de volume) sont des outils de verrouillage du marché : le client est fidélisé de force et les compétiteurs sont maintenus à distance. C’est pourquoi les questions relatives à l’interopérabilité des services, la réversibilité et la transférabilité des données d’un cloud à un autre, occupent toujours une place majeure dans les discussions clients/fournisseurs.
Des modèles déconnectés des besoins clients
Le modèle d’affaires des grands éditeurs est au service d’une stratégie court-termiste de rentabilité pour rémunérer les actionnaires. Leurs fortes ambitions de croissance conduisent à des modèles de commercialisation déconnectés des besoins des clients et de la valeur réelle des services, et de l’enjeu de sobriété numérique. Ces modèles d’affaires s’appuient en effet sur la reconnaissance de revenu et des stratégies d’obsolescence logicielle programmée, d’achats non souhaités, de double fonctionnement… au détriment de la valeur du service (par exemple, SAP ECC vs S4/HANA et sur Microsoft Windows et Office.
Les grands éditeurs de logiciels et fournisseurs de services cloud, majoritairement américains, réalisent une ponction sur la création de richesse en France et en Europe, non compensée par une création de valeur pour le business de leurs clients. Cette ponction se fait au détriment de la capacité d’innovation et d’investissement de nos acteurs économiques, et donc de la croissance, de la création d’emploi et de la fiscalité nationale.
Conclusion
A l’ère du tout numérique et dans un écosystème interdépendant, la voie choisie par certains grands fournisseurs du numérique apparaît illégitime et déséquilibrée au regard des défis économiques et socio-environnementaux à relever collectivement.
Une fois encore, les membres du Cigref appellent leurs grands fournisseurs à plus de mesure et à des pratiques qui favorisent l’émergence de partenariats gagnant-gagnant pour permettre aux entreprises utilisatrices comme à leurs fournisseurs de poursuivre sereinement leur nécessaire transformation numérique, tant sur le plan technologique qu’humain.