Chères et chers collègues, chers amis,
Alors que nous sommes à l’aube de l’année 2033, permettez-moi d’évoquer quelques souvenirs. Ils remontent maintenant à dix ans.
Je me souviens du début de l’année 2023…
À l’époque, les conséquences de l’anthropocène sur l’ensemble de notre biotope commençaient d’inquiéter très sérieusement, d’autant que l’année 2022 avait été celle de tous les records en matière de températures…
Un débat émergeait entre les « décroissants », qui estimaient qu’il n’y aurait pas de salut en dehors de la réduction de tout, consommation comme production, et les « confiants » qui pensaient que grâce à l’efficacité toujours croissante des technologies nous allions nous en sortir.
Et le numérique était là, au cœur de ce débat : il y avait ceux qui voulaient arrêter la numérisation de nos activités humaines, et ceux qui estimaient au contraire qu’elle était nécessaire à l’atteinte de nos objectifs climatiques.
Le Cigref, comme c’est son rôle, prônait quant à lui une voie pragmatique de progrès, pour ses adhérents bien sûr, mais aussi pour l’intérêt général : partout où c’était pertinent, il en appelait à la sobriété numérique, et partout où le numérique pouvait aider à limiter l’empreinte environnementale des activités humaines, il l’encourageait.
Et c’est ainsi que des avancées substantielles ont été accomplies, par exemple au niveau européen, contre l’obsolescence des matériels et logiciels que nous utilisons, évolution à laquelle, dans son rôle d’influenceur, le Cigref a activement participé. Le smartphone que j’utilise aujourd’hui par exemple est entièrement recyclé, et c’est ce modèle qui équipe toute la flotte de mon entreprise. Dans le même temps, de nombreuses activités ont été numérisées, notamment toutes celles qui permettaient d’éviter des déplacements inutiles, de consommer du papier et de l’encre, de perdre du temps dans des activités répétitives sans grand intérêt, etc… Et en fait, nous y avons tous gagné en qualité de vie. Mais pour que cela devienne possible, il nous a fallu réunir un certain nombre de conditions.
D’abord, nous avons dû faire évoluer la prise de décision dans nos organisations. Certes, en 2023, la RSE prenait déjà une importance considérable, mais elle peinait à se décliner concrètement dans le domaine du numérique. Il a fallu que nous sensibilisions les collaborateurs de nos DSI et au-delà, de nos organisations, puis que nous nous dotions d’outils d’évaluation et de suivi, enfin que nous fassions évoluer jusqu’à la notion de Bcases pour nos projets ; bref un travail considérable, mais qui suscitait l’enthousiasme de nos collaborateurs et pour lequel le Cigref fournissait des réflexions, un appui constant.
Ensuite, il a fallu que nous engagions une lutte sans relâche contre les tendances de certains de nos fournisseurs ou éditeurs de logiciels à nous vendre toujours plus de produits et plus de fonctionnalités, pour un chiffre d’affaires sans cesse croissant. Gérer notre dépendance à leur égard devenait stratégique. Là encore, le Cigref a agi concrètement pour que les textes aujourd’hui en vigueur en Europe, nous permettent de rééquilibrer la relation avec les entreprises gigantesques de l’époque ; il a fallu formuler en amont de la production de ces textes nos propres besoins, puis en aval travailler à leur déclinaison pratique.
En 2023, tous ces enjeux étaient au cœur de l’activité du Cigref, mais cette année-là fut aussi marquée par l’explosion de tensions géopolitiques. Nous avions vu en 2022, se déclencher entre la Russie et l’Ukraine, un conflit auquel personne n’aurait voulu croire à peine un an auparavant. Et ce contexte venait miner notre foi en un monde ouvert, respectueux de l’humain, régi par le droit et par le commerce, dans lequel les chaînes de valeur étaient appelées à se mondialiser. Bref, le numérique était touché de plein fouet par cette nouvelle donne.
C’est pourquoi le Cigref se mit à travailler sur la notion de souveraineté, pour éviter l’écueil d’un nationalisme exacerbé, utopique et nuisible à nos organisations, tout en prenant en compte, progressivement, la nécessaire protection de nos activités contre les intrusions de blocs géopolitiques concurrents, et potentiellement hostiles à l’Europe. Mais ce concept d’autonomie stratégique n’était pas naturel pour un certain nombre de nos voisins, et dans le domaine du numérique le Cigref a dû consacrer une bonne partie de cette année 2023 à convaincre ses homologues européens. De quoi s’agissait-il ? D’abord et avant tout de continuer à opérer les meilleures technologies dans nos organisations, mais dans un paysage industriel encadré et protégé par le droit, voire par l’intervention de l’État en cas de menace de nos intérêts stratégiques. Ensuite de créer les conditions d’un hébergement sûr, protégé des actions d’intrusion des services de renseignement extra européens, pour abriter nos données et nos traitements sensibles, qui sont précieux et concourent à notre santé économique et à notre puissance. Cela supposait aussi de ne pas s’en remettre entièrement et aveuglément aux leaders technologiques du numérique, mais d’intégrer la notion de protection dans l’ensemble de nos activités critiques. Enfin, il s’agissait d’encourager et d’accompagner l’émergence de leaders européens dans ce monde du numérique. Toute cette démarche était en somme le prix à payer pour notre résilience.
Aujourd’hui, en 2033, nous pouvons nous féliciter de ces choix : ce sont eux qui nous ont permis d’exister au niveau européen et de faire renaître une aspiration à un monde dans lequel l’Europe fait entendre sa voix pour plus de droit, plus d’équilibre, plus de régulation, un monde de stabilité pour nos organisations.
Naturellement, tout cela a aussi nécessité de redoubler d’effort pour sécuriser l’espace numérique sur le plan cyber. Parce que les tensions géopolitiques s’accompagnaient de plus en plus de cyber attaques, d’actions d’espionnage, de sabotages, etc… même nos hôpitaux, nos collectivités territoriales, devenaient des cibles, ce qui nous choquait profondément. Nos grandes organisations avaient fourni l’effort nécessaire en interne pour sécuriser leurs activités, mais même si cet effort était à poursuivre, il restait surtout à sécuriser leur supply chain, ainsi que tous les produits dont elles avaient besoin pour s’équiper en outils numériques de toutes sortes, et en particulier les objets connectés. C’est pourquoi le Cigref a été particulièrement actif, en 2023, pour apporter son concours à l’émergence d’un Cyber Resilience Act européen, censé répondre à cette problématique.
Nos membres ont trouvé cette année-là, au sein du Cigref, une ruche, un lieu de réflexion, d’échange, d’élaboration, leur permettant de prendre un peu de hauteur par rapport aux enjeux quotidiens, de se situer et d’éclairer leurs décisions en les replaçant dans un contexte plus large. Tout cela en continuant de bénéficier de tous les groupes de travail nécessaires à leur activité opérationnelle : le Cigref a par exemple consacré cette année 2023 à affiner sa réflexion sur la place de la data dans la gouvernance de nos organisations, sur celle de technologies émergentes comme le métavers ou l’ordinateur quantique (notamment sur le plan cyber), sur l’expérience utilisateur, sur le cloud, etc…
Mais le plus grand défi de l’époque était celui des compétences ; parce que l’univers numérique que nous élaborions avait besoin de plus de têtes et de bras, et ce à de nombreux niveaux. Or, tout se passait comme si les années Covid avaient laminé nos grands services publics ; l’éducation, tout comme l’hôpital, semblait en difficulté pour produire en nombre et en qualité toutes les compétences dont nous avions besoin dans nos métiers, qui de surcroît étaient de plus en plus désertés par les femmes.
En 2023, cette situation a conduit à une grande mobilisation du Cigref qui s’est alors déployé auprès des principaux ministères concernés pour porter les propositions suivantes. D’abord, instaurer l’éducation aux humanités numériques et étendre l’enseignement du numérique et des sciences informatiques tout au long du parcours éducatif, et notamment en direction des filles, du primaire jusqu’à l’insertion dans la vie professionnelle. Ensuite, réinstaller de manière significative les apprentissages en mathématiques dans le secondaire, là encore, notamment au profit des filles, démarche soutenue par des mécanismes d’incitation en direction des équipes pédagogiques. Troisièmement, concevoir et déployer sur la durée une grande campagne nationale d’information ciblant les jeunes et particulièrement les filles et les prescripteurs de leur orientation, c’est-à-dire les parents, les familles, les enseignants, les éducateurs, et donc, clairement, l’ensemble de la société française, afin de déconstruire l’image caricaturale des sciences dures et la perception genrée des formations et métiers du numérique, et de présenter leur intérêt, leur diversité et leur attractivité. Enfin, concentrer les aides financières destinées aux étudiantes et étudiants en direction des compétences nécessaires pour France 2030. Cet effort n’a pas été vain, parce qu’il a concouru à ce que naisse l’idée d’une loi de programmation pluriannuelle d’orientation des compétences, dont le principal objectif a consisté à mettre en cohérence les objectifs quantitatifs et qualitatifs de génération des compétences nécessaires pour réussir le plan France 2030, avec les moyens dont devait disposer le système académique pour y parvenir.
Et à travers à tous ces travaux, le Cigref s’est concrètement mis en « ordre de bataille » pour que chacun de ses adhérents y trouve sa maison naturelle, lieu d’échange et de confiance, mais aussi pour constituer le fer de lance de la construction du numérique responsable, durable et de confiance que nous appelons tous de nos vœux.
Mais au fait, je rêve… Nous ne sommes pas en 2033 mais bien en 2023. Alors vite, retrouvons-nous et mettons-nous en marche pour construire ensemble ce monde dont nous rêvons. La feuille de route est tracée, elle est claire, il nous reste à la parcourir.
L’ensemble du Conseil d’administration du Cigref, ses permanents, son Délégué général, se joignent à moi pour vous souhaiter, à vous et à vos proches, à vos collaborateurs, une excellente année 2023 ! Santé et bonheur à titre personnel pour chacune et chacun d’entre vous, richesse pour nos échanges, efficacité pour nos actions, joie de nous retrouver dans le cadre du Cigref.
Je vous adresse, chers amis, mes salutations les plus cordiales.