La confiance est décrite par le CIGREF dans « Entreprises et Culture Numérique » comme un « présupposé de bonne foi dans la relation ». Si ce présupposé est étymologiquement juste (fides, la foi), il doit néanmoins être reconsidéré à la lumière du contexte technique et économique qui le conditionne. Avec l’outil numérique, une question vient d’emblée à l’esprit : si l’on admet que les fondements de la confiance sont le fruit d’une élaboration à proprement parler « humaine », qui résulte d’interactions et répondent à un besoin « d’entrer en contact », que se passe-t-il si l’on substitue les mécanismes d’échanges humains par des mécanismes techniques ?
La confiance : un atout économique et une clef du coopératif ?
La confiance participe à l’élaboration de la culture numérique de l’entreprise parce qu’elle est essentielle à l’application de la coopération, ou de la mise en place d’un leadership participatif. La confiance peut alors devenir la clef maîtresse de la co-opération, c’est-à-dire le fait de produire ensemble une œuvre (co-opera), plutôt que de collaborer, qui au sens étymologique (labore) renvoie au travail entendu comme souffrance. Il y aurait ainsi plus d’intérêt pour l’entreprise à considérer ses parties prenantes comme des partenaires, qui prennent part activement aux projets de l’entreprise, et non comme des subordonnés, qui subissent leur dépendance à une autorité supérieure, et de fait, se sentiraient moins investis. La confiance pourrait alors être définie comme la voie d’énergie minimum pour un retour maximum.
Comment instaurer la confiance dans les équipes virtuelles ?
Mais il existe certains risques, décuplés par la médiation numérique, liés à l’incertitude des relations informelles qu’instaure la confiance. Le CIGREF note en effet : « Le fonctionnement en équipes virtuelles comporte des risques pour le bien-être des salariés si les responsabilités managériales ne sont pas clairement établies : un collaborateur peut se trouver dans un conflit de loyauté vis-à-vis de ses différents managers, ou même ne plus bien savoir qui est le manager de proximité. Pour être efficace, la confiance doit s’accompagner d’une capacité à créer de la cohésion et du sens »1. Pour créer du sens, il faut prendre un temps de réflexion, et de distance par rapport à la situation donnée : il faut se demander comment élaborer les conditions de cette confiance alors qu’elle est en grande partie informelle. Construire artificiellement la confiance n’a aucun sens. En revanche on peut construire un socle formel qui favorisera l’expression de celle-ci. C’est ensuite aux acteurs, aux individus de prêter attention à l’établissement de bonnes relations, d’élaborer peu à peu une confiance.
La confiance à l’ère de l’hyperconsommation est-elle possible ?
La confiance peut-elle réellement exister a priori à l’ère de l’hyperconsommation et de l’obsolescence programmée ? « L’hyperconsommation à laquelle nous sommes confrontés s’accompagne aussi de défiances. Défiance dans les prix, défiance dans la qualité des produits, défiance dans les business models, défiance dans l’information véhiculée »2.
Il semble que la conception étymologique de la confiance, en tant que « bonne foi » ne peut pas s’appliquer a priori au consommateur. Celui-ci n’est pas crédule. A l’ère de l’hyperconsommation, il est même contraint de se défier. Se dé-fier n’est certes pas se con-fier, mais ce n’est pas non plus se mé-fier : la défiance est la revendication d’une distanciation, ce « de » de la di-stance par lequel l’on s’aménage un espace de liberté et de réflexion nécessaire à un « bien croire ». La défiance suppose que je vais me fier avec précaution, alors que la méfiance suppose d’emblée une réticence à se fier à quelqu’un ou quelque chose.
Afin d’éviter que cette défiance ne se transforme en réelle méfiance, le CIGREF note l’importance de concilier confiance et vigilance à travers la sécurisation des systèmes et la protection des données sensibles. L’entreprise doit donc nécessairement adopter une attitude transparente et « installer la confiance de façon transversale, auprès de toutes ses parties prenantes ».
La confiance est-elle mise à mal par le numérique ?
La confiance permet également d’optimiser l’expérience client. L’étymologie du terme, fides, renvoyant également à l’idée de fidélisation. La confiance est l’acte de se fier « avec », ce qui suppose la mise en place d’une relation, une interaction entre les parties. La confiance ne s’acquiert que dans et par la capacité à créer du lien.
Cependant, si la confiance naît de l’interaction humaine, comment peut-elle se construire dès lors qu’une technique fait la médiation? Le numérique ne risque-t-il pas alors de « déshumaniser la relation », et « d’automatiser les échanges à travers des algorithmes » ? L’outil numérique peut à certains égards ne pas prendre en considération l’humain. En effet, l’intermédiation de la technique systématise les relations humaines, et corrompt par conséquent l’essence même de la relation. Le manque de contact et de relation avec un humain peut décourager et rendre méfiant. Comment faire pour desserrer cet étau ?
Il faut prendre garde à ce que la médiation technique ne devienne pas une barrière à la création de relation, provocant ainsi la réticence du client à vouloir rentrer en contact avec un service ou une marque. Le numérique, comme médiation technique, ne doit pas être perçu comme un simple moyen technique au service de sa propre fin, mais plutôt comme un moyen au service d’une fin prédéfinie : cette fin n’est pas seulement la rentabilité et la performance, elle doit aussi prendre en compte les conditions humaines d’établissement d’une confiance, à travers par exemple la transparence et l’échange. Certaines marques réussissent à susciter l’intérêt et la réaction des consommateurs sur leur réseau. Cette possibilité d’expression, et ce sentiment de compréhension mutuelle établie par la transparence, est nécessaire pour établir une relation de confiance médiatisée par le numérique.
Comment optimiser la confiance numérique ?
La confiance doit donc se penser à travers des procédés techniques « ouverts ». De même que le management gagnerait plus en s’appuyant sur des relations de confiance plutôt que de contrôle renforcé, la relation au client/consommateur devrait pouvoir se construire loin de tout sentiment de contrôle ou de méfiance. Le consommateur devrait par exemple être averti de l’exploitation de ses données personnelles : pour cela il suffirait de réduire au maximum l’automatisation de certaines opérations comme l’enregistrement « par défaut » des informations de l’utilisateur. Il s’agit également de ne pas trop formaliser les espaces de communication et d’échange d’expérience des consommateurs. La confiance précède tout cadre formalisé, « elle ne se décrète pas ». Mais une fois que la confiance est établie par ces procédés plutôt complexes (car humains), la culture numérique rend possible le renforcement de la fidélisation de son client, et on retrouve ici le sens premier du terme confiance (fides, foi). « S’impose alors une nécessaire congruence entre la responsabilité sociale des entreprises et les valeurs véhiculées par le consommateur. C’est à ce stade qu’interviennent les moyens numériques comme vecteurs de cette congruence »2.
La confiance comme socle du business … reste-t-elle fragile et instable ?
La confiance est le socle du business, mais pour se construire, elle requiert du temps et de l’attention alors qu’elle peut se détruire en un rien de temps. Perdre la confiance du client signifie non seulement un possible fléchissement du chiffre d’affaire mais aussi une atteinte à la réputation de l’entreprise. La confiance n’est pas acquise une fois pour toute, elle est fragile. Avec le numérique, de nouvelles problématiques liées à l’éthique en particulier, émergent. Avec l’exploitation des données personnelles par exemple, la relation entre l’entreprise et le consommateur est considérablement fragilisée.
Pourra-ton réussir à instaurer une confiance numérique avec les consommateurs ?
Comment optimiser sa durabilité ?
Les acteurs de l’entreprise numérique ne sont-ils pas contraints à privilégier une vision des fins multiples (économiques, éthiques, sociaux, culturels) et non unique (qui ne prendrait en compte que la performance économique) pour installer la confiance durablement ?
Flora Fischer
Doctorante, « Éthique & Numérique »
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1 Ebook CIGREF, Entreprises & Culture Numérique
2 Georges Epinette, Effectivité de l’usage dans le monde numérique, p.206