La culture numérique réduirait-elle la parole en face à face réel ? S’agit-il d’une nouvelle éthique des geeks ou est-ce un vrai phénomène sociétal et une des caractéristiques de la « culture numérique » ?
Certes, il est possible de faire appel à son smartphone et aussi à la téléphonie gratuite comme Skype, Viber, Tango, Fring, Hangouts, etc. pour communiquer avec la parole, comme le faisait, en son temps, Socrate sur l’agora, directement face au public ; ou également chacun d’entre nous avec les moyens du bord avant les années 2000.
Mais les nouveaux comportements tendent à préférer l’envoi de SMS et de mails depuis les mobiles, les échanges via les réseaux sociaux, y compris dans un colloque où l’animateur recueille les questions via Twitter. On préfère faire apparaître à distance sur l’écran du destinataire le contenu de son propre écran plutôt que de s’asseoir autour d’une table et de le commenter oralement. On croit plus les préconisations de son GPS qu’une carte en papier. On préfère jouer sans mot dire avec son interlocuteur via le web, ou encore envoyer des messages et images animés à ses « amis » sur Facebook plutôt que de partager un moment de convivialité autour d’un film de vacances projeté sur un mur blanc1.
Même en open space, une demande d’entre-aide adopte parfois le canal numérique plutôt que de faire quelques mètres à pied et poser la question à son collègue, lui-même trop occupé à ses affaires au sein de la même équipe projet. Il y a certes de nombreux avantages à ces nouveaux usages.
Nous manquons de mesures précises sur ce plan, et le rapprochement entre la téléphonie, le multimédia, l’audiovisuel, l’informatique et les télécoms, joue incontestablement en faveur de l’action numérique, multicanal, qui se met au rythme de la pensée, en un seul clic. N’est-ce pas fabuleux, efficace, efficient et productif ?
La parole numérique est-t-elle le début de la solitude ?
Mais en lisant Sherry Turkle2 et son livre « Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other », je me demande si la diminution de la parole et de la communication humaine directe au profit de l’échange numérique ne favorise pas l’augmentation de la solitude ?
Alors que l’on n’a jamais autant commuté via internet, et que l’on n’a jamais eu à ce point le sentiment d’être « ensemble » à l’échelle planétaire, la diminution de la parole n’annonce-elle pas le déclin de la convivialité locale ?
Il reste heureusement la machine à café… pour se parler. Rien n’est vraiment perdu !
Gérard Balantzian
Consultant et Animateur de séminaires
www.cogouvernance.com
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1 01net, n° 779, p.78
2 Massachusetts Institute of Technology