Quand deux logiques contraires entrent dans l’amphi…
Parmi les questions que pose le numérique, beaucoup concernent le secteur de l’éducation et de la formation. Par exemple, peut-on toujours enseigner de la même façon alors que l’on est entré dans le monde numérique ?
Ce fut le thème de l’émission « Répliques » de France Culture « l’école dans le monde qui vient », échange entre Alain Finkielkraut, écrivain, philosophe et essayiste, et Michel Serres, philosophe, épistémologue, membre de l’Académie française. Le premier défendait un certain scepticisme concernant l’évolution numérique en revendiquant l’avatar de « Grand-Papa Ronchon » ; et le second plaidait au contraire pour le nouveau monde de sa « Petite Poucette ».
Ces deux personnages, évadés du « Discours sur la Vertu » prononcé par Michel Serres à l’Académie Française1, vivent dans le même monde mais leurs logiques s’opposent. La devise de Petite Poucette est « maintenant, tenant en main le monde » à laquelle rétorque Grand-Papa Ronchon : « Non point en réalité, mais virtuellement » !
Le numérique impose une rééquilibration dans la relation pédagogique
Dès lors, Alain Finkielkraut interroge : « Tout change, que nous le voulions ou non et notamment la relation pédagogique. Les hussards noirs de la République sont désormais habillés en Hermès. Faut-il comprendre que le règne de la parole enseignante est terminé et que les nouveaux réseaux ont sonné le glas des vieux maitres ? ».
Michel Serres explique que si nous sommes face à une révolution sur le plan de la pédagogie du fait du numérique, celle-ci n’est pas la première : « la première se fit au moment du passage du stade oral au stade écrit, la pédagogie commence à changer. On passe de Socrate qui parle et qui n’écrit pas à Platon qui écrit et ne parle pas. La seconde est très certainement due à l’invention de l’imprimerie. La troisième est celle que nous vivons actuellement avec le numérique… ».
« Le numérique change peut-être le climat, mais pourquoi devrait-il modifier la nature de l’enseignement ? » demande Alain Finkielkraut.
De la présomption d’incompétence à la présomption de compétence
Michel Serres : « Anciennement, quand je rentrais dans mon amphi, il était entendu que le sujet du cours était relativement inconnu des élèves. Aujourd’hui quand je rentre dans le même amphi, quelle est la probabilité que les étudiants, et combien, aient cherché la veille sur Wikipedia le sujet de mon cours ? Il y avait une présomption d’incompétence, comme dans la relation du médecin au patient, et même, d’une certaine manière pour l’homme politique. Aujourd’hui, s’installe une présomption de compétence, ce qui crée une rééquilibration dans la relation pédagogique ».
Encore selon Michel Serres, « le professeur ne peut plus dire la même chose à une population « uniculturelle » et à une population « multiculturelle »… L’enseignant doit écouter pour comprendre le monde dans lequel il vit, sans le juger… Quelque chose de nouveau arrive, il faut écouter la nouveauté. Une fois que l’on a compris cette nouveauté, on peut adapter son enseignement… Inventer une nouvelle parole ! ».
- « Répliques » de France Culture : « L’école dans le monde qui vient ».
Ecouter l’émission intégrale (durée 52’30’’)
Questionnons le numérique…
Pourquoi, comment le numérique influence-t-il la pédagogie ? A quel rythme ? Que retenir des expériences de chacun ?
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1 Séance publique annuelle, le 6 décembre 2012