Julien questionne le numérique…

13 mars 2013 | ACTUALITÉS, Questionner le numérique

Est-ce que le numérique s’inscrit dans une « notion de progrès » ?

Personnellement 1, si j’ai souhaité contribuer, c’est parce que  j’ai été interpellé par ce que j’ai lu dans le « Cahier n° 32 – L’idée de progrès : une approche historique et philosophique » : « L’entrée dans le XXIème siècle ne se fait pas sous le signe de la confiance et de l’espérance longtemps portées et nourries par l’idée de progrès. La machine folle qui fonce vers le futur provoque l’inquiétude, voire l’angoisse, plutôt que l’enthousiasme. L’âge d’or n’est plus devant nous. Il n’est pas pour autant derrière nous. Le retour global en arrière nous est interdit en même temps que la fuite en avant nous paraît suicidaire ».

Cette vision pessimiste peut se comprendre : la peur traditionnelle du changement, ajoutée à son rythme précipité « la machine folle qui fonce vers le futur », l’explique sans doute en partie. Mais il me semble que la cause est plus profonde. Le numérique opère sur un spectre très large, immense même. Pas seulement sur des champs plus restreints comme lors de l’apparition des technologies précédentes.
C’est vrai que le train, par exemple, a transformé la société. Mais il ne concernait pas tout le monde à la fois. Prendre le train est une démarche individuelle et ponctuelle. Même au milieu des boucliers qui se sont levés ici ou là quand il est arrivé, le train a pu être « ressenti » comme un progrès, intégré à cette notion de progrès. On pourrait dire la même chose de l’imprimerie. Même si les écrits imprimés font depuis longtemps partie de notre culture, ils y sont entrés progressivement, chacun, entreprises et particuliers, les adoptant à son rythme.

Aujourd’hui, se tenir à l’écart des technologies numériques est presque impossible sans provoquer une véritable fracture sociale, sans se mettre en rupture de la société. Pour l’entreprise, cela semble pire encore. C’est quasiment le dépôt de bilan assuré !

La notion de progrès, une notion qui a fait couler beaucoup d’encre…

Dans ce contexte, il me semble difficile de se poser simplement la question : « le numérique est-il un progrès » ? Déjà parce que l’acception du mot numérique recouvre une multiplicité de sens et devrait sans doute être précisée. Et puis le numérique est encore très « jeune », les avis seraient certainement encore trop impulsifs ! Par contre, de façon plus large, est-ce que l’on peut globalement inscrire le numérique dans une « notion » de progrès ? Même si cette notion elle-même est une notion complexe s’il en est, qu’il faut définir. Si l’on se limite au seul sens étymologique du mot « progrès » (du latin progressus), celui-ci renferme déjà un double concept, celui d’avancer et celui d’améliorer. Mais ce n’est pas si simple. La notion en tant que telle, par sa dimension profonde, a toujours interpellé aussi bien les écrivains, que les philosophes, les historiens ou encore les scientifiques et les politiques.

Pour Sophocle déjà (440 av. J-C), la notion de progrès serait inhérente à la nature humaine. Il dit en effet dans « Antigone » : « Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n’est plus admirable que l’homme… Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l’avenir… ». A son tour, en 1986, George Steiner, philosophe franco-américain, indique dans son ouvrage : « Dans le château de Barbe-Bleue, notes pour une redéfinition de la culture » que : « C’est le mérite tragique de notre condition que d’ouvrir des portes » ! Autrement dit, nous, humains, serions-nous génétiquement marqués par une inéluctable obligation de « progrès » ?

Que le progrès fasse ou non partie de notre patrimoine génétique et/ou culturel, il va sans dire que sa perception a toujours été particulièrement nuancée, voire controversée ! Par exemple, pour ne citer que :

  • Le sociologue Pierre-André Taguieff dans « Le sens du progrès : une approche historique et philosophique », pour qui « Les exigences éthiques doivent croiser, idéalement, les projets politiques, sous la voûte de la vertu de prudence ».
  • Et Hans Blumenberg, philosophe allemand, dans « La légitimité des temps modernes » pour qui « La liberté de la recherche scientifique est inséparable de la liberté de pensée, elles doivent être défendues, préservées et illustrées l’une avec l’autre. L’héritage de la curiosité intellectuelle, héritage précieux, fait partie de l’humanité de l’homme. Il constitue l’un des biens communs de l’humanité qu’il importe de défendre ».

Alors le numérique et cette notion de progrès ?

Si l’on appréhende le seul fait que le numérique facilite, voire permet la libre expression de chacun, en cela oui, on peut dire que le numérique s’inscrit dans la notion de progrès puisqu’il répond aux critères étymologiques en faisant « avancer » et « progresser » la libre expression.

Si l’on considère que le numérique peut répondre à la promesse entendue de développer la compétitivité des entreprises, de contribuer à un essor économique et social, alors oui, en satisfaisant cette impérieuse attente, le numérique s’inscrira également dans la notion de progrès.

Comment se fait-il alors que manque véritablement l’enthousiasme ? L’espèce humaine est-elle blasée ? Ou naturellement sceptique ? Ou bien est-ce encore trop tôt pour que le numérique nous donne globalement l’impression positive d’un progrès ?…

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