La DSI a présidé avec les Métiers à toutes les transformations
Depuis les années 70, la DSI a présidé avec les Métiers à toutes les transformations S.I. et Processus de l’entreprise. Durant ces 20 dernières années, j’ai eu la chance de rencontrer en tête à tête plus de 1800 DSI et chefs de projets dans le cadre de l’Université de Technologie de Compiègne. Je peux témoigner de leur capacité d’adaptation aux transformations de l’entreprise. Ils ont quitté leur « tour d’ivoire » et sont devenus les partenaires des Métiers et de la DG. Ces DSI, appuyés par les SSII et les consultants, ont excellé dans deux types d’innovations : les « innovations opérationnelles et d’infrastructure » et les « innovations en matière de produits et de services ». Ils ont su co-construire avec les Architectes d’entreprise, et les Pilotes de Processus, des liens fertiles et des collaborations durables.
L’entreprise est-elle déconcertée par la culture exogène ?
Mais dès lors que l’innovation a touché le « modèle d’entreprise » lui-même, la DSI s’est trouvée déconcertée face à une avalanche d’offres externes et la montée de nouveaux géants du web (Google, Amazon, etc.). D’ailleurs, l’entreprise elle-même a été déstabilisée. Des leaders d’hier ont montré des fragilités et quelques-unes d’entre elles ont même disparu. Certains managers se sont même sentis « attaqués » de toutes parts et les nouveaux entrants de l’économie numérique connectée ont été qualifiés de « barbares ». L’imaginaire a fait son travail. Pour preuve, nous lisons que les « barbares attaquent la DSI »1.
Ce phénomène n’est pas nouveau mais récurrent. Par exemple, nous avons vécu les mêmes phénomènes lors du passage des terminaux IBM 3270 au Macinstosh en 1984. Aujourd’hui, nous en sommes au BYOD. Lorsque le Macintosh a été lancé en 1984, les férus des terminaux IBM 3270 ont levé leurs « pont-levis » et érigé leurs « châteaux forts » en tentant à tout prix de renforcer leur statut de « gardien du temple ». Les icones qui nous paraissent si ‘naturels’ sur nos écrans actuels étaient considérés comme « une informatique sauvage » à cette époque.
En réalité, on venait simplement de changer la forme de nos représentations de l’accès à l‘information et inventer de nouveaux usages et un nouvel environnement créatif offert à tous. Mais nous ne nous doutions pas que cette « trans-formation » allait introduire une nouvelle « grammaire » de la langue numérique. En effet, la vidéo, les SMS, les images, et d’une manière générale le multimédia, ont non seulement transformé l‘interface homme-machine, mais YouTube et Flickr sont nés et nous avons fait l’apprentissage du partage de contenus numériques via le web. La foule, composée de milliards d’individus, s’est subitement passionnée et s’est emparée de ces transformations, et le point de vue « subjectif » a peu à peu enveloppé le point de vue « objectif ». L’informatique sauvage a été peu à peu prise très au sérieux. Des développeurs autonomes ont démontré des talents créatifs à l’extérieur de l’entreprise. Il suffit d’observer le nombre faramineux de téléchargements d’applications développés par la communauté planétaire, ce qui a permis d’annoncer : « App Store Sales Top $10 Billion in 2013 » (les ventes d’Apple Store pour 10 milliards en 2013). Depuis 30 ans, nous nous auto-transformons à notre insu et nous vivons la « Grande Transformation » que Mauss et Polany ont déjà décrite !
La Grande Transformation recherche-t-elle un langage commun ?
Face à cette nouvelle culture de l’innovation collaborative, l’entreprise et sa DSI se sont trouvées face à deux cultures, l’une endogène et l’autre exogène. En clair, la complexité actuelle consiste à associer d’un côté, les « bonnes pratiques » contraignantes à caractère déterministe liées à la « planification, l’organisation, l’implémentation, la délivrance, le support, la surveillance et l’évaluation »2, et de l’autre côté une approche empirique consistant à inventer de nouveaux modèles d’affaires et de nouvelles solutions (il suffit de se remémorer les premiers pas de Facebook parti d’un campus universitaire). Mais le management par la contrainte devient moins audible qu’auparavant, car il est plus perçu comme une perte de liberté d’action. Les utilisateurs autonomisés grâce aux outils mobiles achetés sur le web, veulent s’affranchir des règles codifiées par le centre (la DSI groupe).
La DSI cherche donc, avec ses partenaires et fournisseurs, un langage commun pour ré-unir ces deux sphères endogènes et exogènes. Pour l’instant, le langage de l’imaginaire, comme je l’ai décrit ci-dessus (avec les « barbares »), aussi respectable soit-il, n’apporte pas de réponse satisfaisante au Projet de Transformation.
Il faut en effet revenir aux Fondamentaux et aux Fondations. La guerre des prix sévit partout. Internet bouleverse les règles du jeu et détruit / construit des pans entiers de l’économie. Des chaînes anciennes comme Fnac, Darty, Virgin, Surcouf, se trouvent confrontées au défi du numérique et aux géants du web. Ce que l’on nomme le « soft power », c’est-à-dire les industries culturelles, se propage en révisant les anciennes règles du jeu comme c’est le cas au niveau des jeux vidéo, la musique et le livre. Les secteurs de l’énergie, la banque, la grande distribution et l’assurance, qui sont dans le « top 100 » des meilleurs classements mondiaux, sont en train de prendre des dispositions pour reconsidérer leurs Missions à la lumière des innovations technologiques (internet des objets, voiture connectée, etc.) car aucune position et modèle n’est définitivement acquis dans ce monde en mouvement constant.
Quelle solutions pour la transformation numérique ?
Avant de proposer des solutions, 4 types de question sont à poser en priorité aux managers :
1. Le premier type passe par l’ontologie. La Transformation n’est ni une « fonction », ni un « produit commercial ». C’est un mouvement qui peut prendre la forme d’un Projet. Lavoisier dit : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Selon le dictionnaire, une « Transformation » est un changement de « forme » comme je le disais ci-dessus. C’est un Projet transversal qui touche la forme de la structure de l’organisation et de l’architecture de l‘information. Mais n’allons pas si vite : tout d’abord, qu’est-ce qu’une Entreprise numérique et qu’est-ce qu’une Transformation numérique ?
2. Le second type passe par la culture et le regard sur la création de valeur. Le syncrétisme et l’accélération rendent difficiles le nécessaire synchronisme des composants des systèmes d’information (en mode SaaS, PaaS, …) pour créer de la valeur. Comment éviter le risque d’équivoque lorsqu’on aborde « la création de valeur » ? « Faire Valeur » (valoris, en latin), développer des solidarités et la responsabilité, et tirer les bénéfices de ces transformations n’a pas la même signification pour tous. La « création de valeur » dépend certes de la bonne adéquation Orientation S.I. / Orientation Business. Cela fait au moins 30 ans qu’on le répète dans tous les symposiums. Mais lorsque de nouveaux modèles d’entreprise émergent, que la tactique court-termiste évacue la stratégie business à long terme, comment faut-il intégrer « l’économie positive » au cœur de la transformation des systèmes d’information et de communication les recommandations (cf. le rapport 2013 sur « l’économie positive » – Groupe de réflexion présidé par Jacques Attali).
3. Le troisième type porte sur la trajectoire à suivre pour la transition vers l’Entreprise numérique. Il faut un vrai débat interne à chaque entreprise fondé sur la proximité car chaque cas est unique. Au centre de la table, la Carte d’orientation me sert de guide d’analyse et de diagnostic partagés (SI/ Métiers). Il m’a fallu de longues années de recherche en étudiant le « Transformisme » (fondée sur les théories de Charles Darwin) pour enfin découvrir cette « Carte », qui est un langage commun, et dont je fais maintenant usage dans mes interventions au contact des entreprises et des jeunes générations.
4. Le quatrième type est d’ordre social et moral. La sociologue, l’anthropologie et la biologie moderne nous font découvrir la manière dont « la biomédecine change nos vies ». Il y a donc un tissage complexe entre l’apport des connaissances numériques partagées, la politique de la santé, les technosciences et l’art de façonner et protéger la vie de chacun d’entre nous.
Il est en effet troublant de constater à quel point l’héritage laissé par cet illustre naturaliste anglais peut servir un Projet de Transformation d’entreprise, parce que l’entreprise et la société sont d’abord composées d’êtres humains, même si les automatismes se propagent et les remplacent par endroit.
Il est aussi intéressant de constater le caractère structurant de cette Carte auprès des digital natives, car s’ils ont une avance incontestée en matière d’usage des technologies numériques, ils ont en revanche besoin, d’une part d’un cadre pour y fertiliser leurs idées et leurs innovations, et d’autre part d’un langage commun pour l’exprimer.
Que faut-il en conclure de la Transformation numérique ?
En conclusion de ce petit témoignage, je peux dire que dans ce nouvel espace économique globalisé, les enjeux politico-socio-culturels et moraux qui s’offrent à nous sont immenses. On a que trop intérêt à partager ce langage commun pour la simple raison que face à ces multiples transformations numériques, nous n’avons plus le choix.
En revanche la voie la plus plausible que chaque décideur peut emprunter, dans la gamme des possibles de son inévitable transition numérique, ne dépend-il pas de son libre choix ? N’est-ce pas de sa responsabilité, qu’il soit DSI ou non ?
Gérard Balantzian
Consultant et Animateur de séminaires
www.cogouvernance.com
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1 Lu par l’auteur le 10 janvier 2014
2 cf. CobiT®