La Supply Chain et l’entreprise numérique

2 août 2016 | ACTUALITÉS, Entreprises et cultures numériques

Quelle évolution pour le « Supply Chain management » au sein de l’entreprise numérique ?

Tandis que la transformation numérique s’organise au sein des entreprises, le « Supply Chain management » voit lui aussi ses modèles bousculés par les process numériques. Quel est l’impact  des nouveaux entrants de l’entreprise numérique : big data, cloud, objets connectés, blockchain…

Cette question était à l’ordre du jour du congrès Fapics sur les bonnes pratiques de la profession Supply Chain  avec une table ronde dédiée. Pour aborder cette problématique :

  • Mohamed MARFOUK, Directeur des Opérations et DSI LVMH, DSI membre du CIGREF
  • Gilles CAMOIN, VP, CIO Head, Sanofi

Les Supply Chain, d’un métier à l’autre, différences et points communs…

Pour évoquer la fonction Supply Chain, le pluriel s’impose quant à la diversité des métiers qu’elle recouvre. A l’exemple du Groupe LVMH qui représente environ 70 marques ayant des métiers différents : les vins et spiritueux, la mode et Maroquinerie, les parfums et cosmétiques, les montres et joaillerie ou encore la distribution sélective avec des chaines de magasins ayant parfois à gérer des produits frais et/ou des produits à la commande.
Ces métiers ont des Supply Chain extrêmement différentes, avec des contraintes très particulières. De même au sein du Groupe Sanofi, les différences d’une Supply Chain à l’autre se font par la nature des produits : pharmaceutiques traditionnels, produits concernant les maladies rares dont les processus de fabrication peuvent être complexes.

Pourtant, toutes ces Supply Chain ont au moins un point commun : la disponibilité du produit. Quel que soit ce produit, sa cible, sa destination, il doit arriver en temps et en heure.

Comment le Supply Chain Management aborde l’impact du numérique ?

Pour l’entreprise numérique, une des remises en cause marquantes dues à la culture numérique, c’est certainement de rompre avec le modèle classique de fonctionnement en silos. Les intervenants explorent les solutions qui permettent au Supply Chain Management d’échanger au mieux avec les métiers, et notamment avec les équipes des Directions des Systèmes d’Information.

M-MarfoukPour Mohamed MARFOUK, en charge à la fois de la Supply Chain et des Systèmes d’Information du Groupe LVMH, « la configuration qui convient le mieux, ce sont des équipes dédiées. Elles appartiennent à l’organisation SI, mais elles sont dédiées à leurs clients. C’est de cette façon que l’on arrive à casser les silos, à bien comprendre les problématiques de chacun. Il est extrêmement difficile pour quelqu’un des SI de répondre à une problématique Supply Chain si lui-même n’a pas développé l’expertise sur les métiers de la Supply Chain ».

A titre d’exemple, pour illustrer ce besoin de compréhension et d’échanges, il évoque la mise en place d’un Hackathon à l’Ecole 42. Organisé conjointement par le DSI et le directeur de la Supply Chain de la société Louis Vuitton, tout a été fait par les 2 directions et les équipes de coaches étaient mixtes également.

Pour Mohamed MARFOUK, la Supply Chain a intrinsèquement un rôle de coordination. La problématique n’est pas uniquement de travailler avec la DSI, mais plus en amont dès la conception du produit avec le designer (ou l’équivalent en R&D). L’objectif est de considérer dès ce stade la situation finale du produit dans une vitrine. Cela peut être de tenir compte des volumes (nombre, tailles, couleurs…) ou des spécificités liées au lieu de vente (culture différente d’un pays à l’autre) tout en préservant une unité de la marque.

Autre contrainte pour la Supply Chain, le délai d’approvisionnement, sachant que de manière générale, ce délai n’arrête pas de diminuer. La durée de vie d’un produit dans un magasin ou dans une vitrine peut se réduire désormais à 4 ou 6 semaines.

Comment le numérique peut-il aider la Supply Chain ?

L’impression 3D tout au début du process permet de faire des prototypes beaucoup plus rapidement. Elle permet par exemple d’imprimer des sacs en plastics avant leur réalisation en cuir. Le designer voit ainsi si le produit correspond à ce qu’il a conçu. De la même façon, l’impression 3D peut être utilisée pour la vraie production de petites séries sans passer par un processus industriel compliqué, avant de fabriquer le bon produit au dernier moment.

Mohamed MARFOUK évoque également un domaine où le numérique apporte une aide précieuse à la Supply Chain : la perception des signaux permettant d’identifier l’évolution des marchés. Notamment dans les secteurs du luxe où les signaux sont très faibles, du fait de ventes en petite quantité, il est important de pouvoir détecter les signaux utiles. Se baser sur les ventes du passé pour prévoir les ventes à venir, n’est pas suffisant. Les usages numériques ont fait évoluer les mécanismes d’achats. Il cite le cas d’une blogueuse qui va sortir une vidéo sur un maquillage par exemple.  La vidéo peut très vite devenir virale et le produit faire 300% du jour au lendemain ! Ce marché ne relève pas d’une campagne publicitaire, il n’est donc pas prévu et peut arriver à un moment où la marque ne s’y attend pas du tout. Il peut aussi être vu trop tard, échapper aux systèmes de détection.

Autre exemple, le cas où une personnalité apparait lors d’un évènement avec des baskets, un sac, un foulard, un bijou… La marque détecte le signal en même temps que les clients qui réclament le produit en masse. Il faut que la Supply Chain soit en mesure de capter au maximum ces signaux et de gérer l’agilité, la réactivité au niveau des usines pour pouvoir lancer une production le plus rapidement possible et approvisionner les magasins. Sachant que ce type d’évènements qui déclenchent la demande sont des phénomènes qui redescendent très rapidement : « Si le produit n’est pas disponible pendant la petite fenêtre où se produit l’effet viral, et où les gens n’ont qu’une seule envie c’est obtenir le produit, une semaine plus tard, ce sera une autre vidéo, un autre produit… Et c’est une opportunité de chiffre d’affaires qui disparait ! ».

Mohamed MARFOUK explique qu’il existe des cellules de veille organisées conjointement entre les SI et la Supply Chain. Ces « cercles d’experts » se réunissent à travers les différents métiers du Groupe, parce que les signaux sont vraiment différents d’un métier et d’une marque à l’autre. Mais on  en est encore au début de ce type de veille : « ce sont des domaines où l’on a besoin de réfléchir tous ensemble pour trouver la bonne formule. On a fait quelques exercices avec des partenaires dans le domaine de la reconnaissance d’images. Quand une célébrité ou une bloggeuse parle d’un de nos produits, c’est très facile avec le moteur de recherche. Mais une vedette filmée au hasard d’un évènement alors qu’elle porte un foulard… Comment le détecter ?  A moins d’avoir des systèmes de reconnaissance d’images sachant lire la vidéo pour reconnaitre un petit carré d’image en identifiant le produit, une montre, un foulard, un sac… Aujourd’hui, de tels programmes de reconnaissance d’image capables de reconnaitre un produit dont on ne voit qu’une petite partie, cela reste du domaine de l’innovation ! ».

Le big data pour compléter l’expertise humaine

Pour acquérir le meilleur rendement de production, l’expertise humaine, acquise avec le temps, permettait à l’ouvrier de connaitre les meilleurs réglages machines : « un ouvrier qui est sur une machine peut dire juste à l’oreille quand il faut faire tel ou tel geste ».

Aujourd’hui, on peut mettre un maximum de capteurs sur la machine pour récupérer des données et corréler ces données avec l’output du process. On peut ainsi déterminer la combinaison des paramètres ayant permis le meilleur rendement.

Par contre, si l’humain a l’impression qu’il va ainsi être remplacé par une machine de statistique, il va résister : « si on peut expliquer que la machine statistique va aider l’humain à mieux faire son job et augmenter sa capacité à résoudre ses problèmes, son comportement vis-à-vis de la technologie va être complètement différent ».

La Supply Chain au sein d’une entreprise intégrée

Les problématiques de management de la Supply Chain et l’impact du numérique sont-ils différents au sein d’une grande entreprise qui a fait le choix de devenir une entreprise intégrée, avec une seule marque ?

G-CamoinPour Gilles CAMOIN, la démarche d’entreprise intégrée décidée par Sanofi, structure l’approche concernant à la fois l’innovation et la Supply Chain. Au sein de l’entreprise, il existe des différences de Supply Chain par la nature des produits. Ce sont aussi bien des produits pharmaceutiques traditionnels que des produits concernant les maladies rares ayant des processus de fabrication extrêmement compliqués. Au-delà de ces différences liées aux produits, il existe une partie commune à ces Supply Chain, sur laquelle s’opère le travail d’optimisation.

L’alignement passe par une rigueur de la gouvernance côté informatique et côté Supply Chain : « un vaccin, dès qu’il est produit il est vendu, il faut le distribuer le plus rapidement possible. On ne peut pas être en rupture de stock d’un médicament, cela peut être une question de vie ou de mort pour un individu. […] La complexité doit être gérée de façon fine et le système d’information doit être assez innovant pour pouvoir faire en sorte que le bon produit arrive au bon endroit au bon moment ».

En ce qui concerne la R&D, Gilles CAMOIN évoque notamment l’organisation d’un hackathon entre des équipes internes coachées par des jeunes de l’externe. Il en est sorti un projet concernant la pharmaco-vigilance. Autrement dit, comment utiliser les réseaux sociaux pour avoir le meilleur retour possible sur les médicaments mis sur le marché.

Avec le numérique, il faut se demander comment on va disrupter sa propre entreprise, ce qu’il est difficile de faire seul. On doit se demander comment faire radicalement différent en faisant abstraction de ce qui existe « on arrive alors à avoir des idées originales et riches en valeur ajoutée. Il faut oser le faire ».

En ce qui concerne l’informatique, Gilles CAMOIN évoque l’importance de repérer les idées qui sont à l’extérieur pour les amener à l’intérieur : « Cela bouillonne de partout, il faut sortir, aller comprendre, aller écouter. L’informatique a le devoir d’apporter cette différence à ses clients. Les clients internes doivent le faire aussi. Quand on est deux à regarder, on est meilleurs. On ne doit pas se focaliser seulement sur son propre écosystème ».

Le métier de recherche change aussi radicalement. Par exemple, il faut comprendre comment la maladie se propage et se développe afin de repérer les endroits où on pourrait la bloquer. Cela passe par la collection de datas et de la simulation clinique. Avec le numérique, les recherches biologiques classiques passent par le « data scientist » afin de modéliser des problématiques. En changeant de monde, on change le besoin de compétences des individus ce qui provoque des ruptures assez profondes.

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