Rôle du SI dans la transformation de l’Etat : pourquoi une DISIC

9 mai 2011 | ACTUALITÉS, Entreprises et cultures numériques

Contribution de Jérôme Filippini, Directeur Interministériel des Systèmes d’Information et de Communication de l’Etat
Dans le cadre de la conférence du 29 avril à l’occasion de la publication du rapport CIGREF « le secteur public à l’heure de la transformation numérique »
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Merci au CIGREF pour cette invitation et pour la qualité du parterre qui est réuni. Intervenir après Christian Charpy, Directeur général de Pôle Emploi, est quelque chose de très motivant parce que, dans les fonctions que je prends, je me dis qu’il y a quelques bastions avancés qui nous donnent l’exemple !

Pourquoi la France crée une DISIC ?

Pourquoi créer une structure centrale pour piloter la transformation du SI de l’Etat aujourd’hui ? Cela fait de nombreuses années que la conviction s’est faite qu’aucune transformation ne peut se faire dans l’Etat sans une contribution forte du SI. Aucune transformation ne réussit sans le SI et quelques transformations échouent parce que le SI n’a pas été répondant. Depuis vingt ans l’informatique a pénétré partout y compris bien sûr au sein de l’Etat, avec les générations des agents publics, des fonctionnaires, des contractuels qui nous rejoignent. Le SI est dans les veines des agents publics et plus simplement sur le poste de travail ou dans le réseau.

Des travaux, comme ceux que le CIGREF a conduits au cours de la dernière année, ont contribué à forger cette conviction jusqu’au plus haut sommet de l’Etat : pour conduire la transformation avec la meilleure contribution possible du SI, il nous manquait une brique. Il ne nous manquait pas les acteurs clés, pas les grandes directions générales métiers qui se structurent, qui se réorganisent depuis quelques années. Il ne manquait pas non plus de DSI de très grande qualité dans le public. En revanche, il manquait la brique qui permet d’assembler tout le mur.

Trois évolutions paradoxales pour forger cette décision

D’abord, je l’ai dit, le SI contributeur majeur. Je le disais déjà dans mon poste précédent, non pas pour justifier mon emploi mais pour intéresser mes patrons et faire en sorte qu’ils s’investissent de façon stratégique. Mais contributeur généralement invisible et très souvent négatif. Comme vous le vivez aussi dans les entreprises, on ne parlait du système d’information que quand un projet échouait, coutait plus cher, boguait à son démarrage… Prise de conscience forte, mais prise de conscience toujours un peu négativée.

Deuxième évolution paradoxale, une montée en puissance de ceux qui interviennent sur le système d’information, mais d’abord un gros retard dans la gouvernance. Gouvernance au sein de chaque ministère et plus encore gouvernance entre les administrations. Gouvernance au sein de chaque ministère parce que, même si les patrons non-techniques commençaient à s’intéresser au sujet comme dans les trois paliers de maturité que vous montriez dans votre précédente étude. J’aurais tendance à situer la plupart des ministères dans le premier palier de maturité, parfois au début du deuxième, jamais ou très rarement dans le partenariat métiers.

Une gouvernance au sein de chaque ministère dans laquelle il est très difficile de faire en sorte que le couple DSI-métiers fonctionne de façon stratégique. Et plus encore au niveau interministériel où, à l’exception de quelques projets qui ont été conduits, staffés par des opérateurs spécifiquement créés pour cela, on n’a généralement pas de gouvernance interministérielle de projets alors que ce sont pourtant de plus en plus des projets d’interface.

Le deuxième gros retard par rapport à cette montée en puissance était un retard en matière de pilotage de la valeur. On a un pilotage très comptable, très administratif. Comptable pour les budgets, administratif pour la ressource humaine, mais une grande difficulté à délivrer des analyses de la valeur décisionnelle.

La troisième évolution paradoxale, en particulier ces 5 dernières années, c’est un discours très fort, concernant l’e-administration, le service aux usagers. Ce qui est évidemment un moteur essentiel, mais on n’en a pas tiré toutes les conséquences sur le « back office ». Autrement dit, l’Etat s’est transformé. On a par exemple la déclaration de l’impôt sur le revenu, et différents titres maintenant délivrés en ligne, mais on n’en a pas tiré toutes les conséquences pour rétroagir sur le SI au sens corporate du terme, c’est-à-dire sur l’outil interne, sur les ressources internes. C’est également ce qui a conduit à forger la conviction que l’on avait besoin de créer la DISIC : Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication.

Les quatre caractéristiques de la DISIC

D’abord, nous prenons le pari d’une instance spécifique et pérenne, c’est-à-dire d’une instance qu’on inscrit dans l’organisation, non pas parce qu’elle est créée par un décret ni qu’elle est dirigée par un directeur, mais parce qu’elle est le ferment de quelque chose qui aura vocation à se développer durablement.

La seconde caractéristique est qu’elle est placée au centre du Gouvernement. Cela n’a pas été simplement un débat de principe, mais le fait que le Premier ministre et son Cabinet aient souhaité que cette DSI soit placée près de lui traduit la volonté politique majeure qui était celle du Président de la République et du Premier ministre.

La troisième caractéristique, c’est une équipe très resserrée. J’ai entendu ce que disait Christian Charpy sur ce choix majeur de recruter et d’investir pour transformer demain. Mais à l’inverse, le choix a été fait d’une équipe qui doit venir en valeur ajoutée par rapport aux structures existantes. Elle doit d’abord démontrer qu’elle aide les autres  à progresser. Elle peut ensuite avoir vocation à intégrer plus, mais nous devons d’abord démontrer que l’on aide et que l’on fait progresser les autres.

La troisième caractéristique, c’est une orientation  « des SI corporate », tournée vers la transformation interne des infrastructures, des ressources, du pilotage c’est-à-dire vers toutes les conditions de réussite des mutations d’usage et d’environnement que l’Etat connait comme les entreprises aujourd’hui.

Quatre défis qui sont des orientations majeures

Le premier, c’est l’urbanisation fonctionnelle et technique du SI de l’Etat. Le cadastre sur lequel s’appuie le système d’information de l’Etat donne évidemment le vertige ! C’est pour cela que je ne ferai rien seul. Je travaillerai avec l’ensemble de ceux qui font fructifier ce cadastre. C’est d’abord l’urbanisation fonctionnelle et technique du SI de l’Etat. Des briques communes, des services communs, des référentiels, des standards. Faire converger tout ce qu’il est possible et rendre réalisable l’interopérabilité et la mutualisation qui sont sur un territoire tellement large qu’il faut, pour réussir, commencer administration par administration, ministère par ministère.

Le deuxième défi c’est la professionnalisation du pilotage de la valeur. Nous allons tirer un bénéfice formidable des travaux conduits par le CIGREF. Dans la gestation du processus de décision qui a conduit à la création de la DISIC, il y a une contribution des travaux du CIGREF. Je ne dis pas cela pour vous faire plaisir, mais vous avez contribué à faire maturer cette prise de conscience, ce que je veux saluer.

Professionnaliser le pilotage de la valeur cela veut dire savoir chiffrer, nous ne savons pas dire aujourd’hui combien coute le SI. Nous savons encore moins dire combien il peut rapporter. On sait le faire segment par segment, projet par projet, pas forcément de façon comparable, et en tout cas jamais de façon générale, donc décisionnelle. Savoir décider, faire ou pas, savoir piloter et corriger.

Le troisième défi est le management des risques. C’est quelque chose d’un peu plus nouveau par rapport aux structures précédentes. On intègre cette question de risk-management dans la réussite des projets eux-mêmes. Nous allons essayer d’aider les ministères à professionnaliser leur management des risques pour qu’ils l’internalisent. Mais aussi jouer un rôle externe, lorsqu’il le faudra, d’expertise, voire d’audit et le cas échéant de recommandation négative. Je ne commencerai pas par cela, mes collègues DSI le savent, les ministères le savent aussi, mais nous devons le cas échéant contribuer demain à faire prendre à nos autorités des choix majeurs sur des projets qu’il faut arrêter plutôt que de les continuer.

Le quatrième défi sera la conduite de certaines opérations par la DISIC elle-même. Je dis la conduite, mais c’est plutôt « l’incubation », parce que vu la dimension de l’équipe et les opérations que je vais citer, on ne peut les faire seuls.

Parmi ces grandes opérations interministérielles certaines concernent les infrastructures. On parle depuis longtemps de réseau interministériel de l’Etat, pour des raisons économiques, des raisons de sécurité. Il y a une forte attente sur ce point. C’est une des missions principales qui m’a été donnée.

Deuxième volet sur les infrastructures, ce sont les services d’hébergement. Nous ne sommes pas insensibles aux discours que l’on entend parfois, qu’ils soient caricaturaux ou publicitaires, sur le Cloud. Mais nous avons entrepris une réflexion stratégique et les conséquences opérationnelles à tirer sur la notion de Cloud privé, sécurisé de l’Etat. En tout cas, de rationalisation des services d’hébergement des administrations de l’Etat.

Le dernier volet très opératif, c’est tout ce qui concerne la chaine de soutien utilisateur territorial, puisque nous conduisons une réforme territoriale majeure dans l’Etat qui conduit à « interministérialiser » les services, à « casser les tuyaux verticaux », et dans la réussite de cette réforme, si le SI n’est pas répondant, n’est pas aligné, alors nous aurons échoué.

Le rôle stratégique des systèmes d’information

Pour conclure, je dirais que la DISIC devra être à la fois le vivier, la famille où les DSI de l’Etat se trouvent chez eux. Ils ont enfin ce lieu où, ensemble, nous allons travailler à faire prendre en compte au meilleur niveau le rôle stratégique des systèmes d’information, donc aussi à repositionner les DSI vis-à-vis de leurs directions générales. C’est ce que toutes les entreprises mures ont fait. Les échanges entre Christian Charpy, Daniel Urbani le montrent. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui dans l’Etat et il faut cela le soit.

Plus largement la DISIC doit être aussi l’interlocuteur des métiers, des directions générales, des secrétaires généraux des ministères pour plaider cette même transformation. On ne le fera pas seuls entre nous DSI, sinon on n’intéressera plus personne ! Je dis parfois en plaisantant, comme je ne suis pas ingénieur de formation, que pour faire le job qui est le mien, il faut aimer les langues étrangères ! Nous devons arriver à parler trois langues : le français « français », le français « informatique », et puis le français « administratif », qui reste une langue rare très nécessaire pour transformer l’Etat.

Evidemment, nous ne ferons tout cela que grâce à un partenariat très structuré avec les grands noms de la place industrielle. Mais surtout avec les partenaires institués que sont les représentants des secteurs industriels, les représentants des DSI publiques-privées que vous êtes, avec ce vivier formidable que vous créez. Je voudrais prendre l’engagement de ce que, moi-même et mes collaborateurs, participeront très activement à tous les autres chantiers que vous conduirez au CIGREF. Encore une fois, ce n’est pas un hommage flatteur. Vous avez, d’une certaine façon, contribué à la création de cette fonction dans l’Etat.

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