Le Cigref publie sous forme de rapport, en collaboration avec Futuribles International, la restitution des travaux du groupe de travail « Prospective de la 5G à horizon 2030 », piloté par Anne Lucas, Responsable de la maîtrise et capitalisation des informations stratégiques chez Acome, pour Futuribles, ainsi que Djilali Kies, Chief Information Officer TDF et Gilles Lévêque, Directeur des Systèmes d’Information du groupe ADP et administrateur du Cigref.
Ambitions de la démarche
La technologie de réseau 5G est considérée comme une tendance structurante des 10 prochaines années. Elle est présentée comme « la réponse » aux besoins de communication de plus en plus croissants de l’économie et de la société.
Déployée actuellement dans le monde, la 5G offre plusieurs caractéristiques complémentaires aux précédentes générations 2, 3, 4G, dont letrès haut débit, la faible latence et la garantie d’une qualité de service spécifique par usage (slicing). Ces caractéristiques ouvrent la voie à de nouvelles applications industrielles et sont accompagnées de multiples promesses et bouleversements des usages et des marchés. Cependant, la 5G soulève des craintes sécuritaires, géopolitiques, sanitaires et environnementales, largement relayées dans les médias et les réseaux sociaux.
Dans ce contexte, les entreprises et administrations publiques doivent faire des choix stratégiques structurants pour l’avenir, en termes de télécommunications. Elles ont, plus que jamais, besoin d’un éclairage qui leur permette de tirer profit de cette opportunité technologique tout en réduisant les risques sur leurs activités et sans compromettre leur responsabilité sociétale, en termes de télécommunications.
Face à ces défis, le Cigref et Futuribles International se sont associés pour conduire une réflexion prospective de la 5G à horizon 2030 ayant l’objectif d’éclairer les trajectoires possibles et de fournir à leurs membres les éléments, ou une partie des éléments, nécessaires à la prise de décision.
Messages-clés du rapport
Nous pouvons retenir de cette étude cinq messages-clés structurants pour l’avenir de la 5G.
la 5G illustre les liens étroits existants aujourd’hui entre enjeux géopolitiques mondiaux et problématiques nationales voire ultra-locales et qui ont été mis en exergue par la crise Covid-19.
Cette technologie, comme d’autres, fait l’objet de luttes d’influence entre grandes puissances étatiques à l’échelle internationale. Mais la 5G, son déploiement et ses usages, traduisent aussi des choix stratégiques, des réalités socio-économiques et physiques (infrastructures etc.) propres à chaque pays. Ainsi, les gouvernements, dans leur rôle de régulateurs et de stratèges, sont confrontés à la nécessité d’articuler ces différentes échelles, non sans difficultés.
La 5G préfigure les rapports de force internationaux qui structureront les dix années à venir et sans doute au-delà.
Les États-Unis et la Chine sont, bien entendu, les deux États les plus investis dans cette lutte pour la première place mondiale. En témoignent leurs investissements actuels pour les prochaines versions de la 5G ou la technologie 6G, alors même que la 5G en est au début de son déploiement. Mais la course que l’on observe autour de la 5G et de la technologie suivante révèle aussi, la puissance croissante d’acteurs non-étatiques qui jouent et joueront un rôle majeur dans le paysage géoéconomique mondial. Les liens tissés entre entreprises et gouvernements autour de ces innovations technologiques (Huawei en Chine, par exemple), les grands consortiums de firmes et de centres universitaires pour développer de nouveaux outils (projet Hexa-X en Europe), mais aussi l’affirmation de fonds d’investissements comme acteurs incontournables pour financer la recherche, le développement et la production de tous types de solutions techniques, montrent déjà où se situeront demain les centres de décisions internationales (le fonds Neuberger Berman, pour n’en citer qu’un, a dédié un portefeuille complet à la 5G en mai 2020).
La 5G recèle un paradoxe, révélateur des tensions actuelles qui opposent le progrès technologique et la préservation de l’environnement.
La 5G constitue un outil pour contrôler et réduire l’impact environnemental des industries ou des villes. Cependant, les nouveaux usages promis par la 5G pourront être responsables d’externalités négatives pour l’environnement. Or, sans ces nouveaux usages, la 5G n’est pas plus avantageuse que les réseaux déjà existants. La 5G pose donc l’équation d’un monde confronté à ses contraintes environnementales. La résoudre exige de développer des dispositifs innovants nécessaires pour profiter des bénéfices de la 5G tout en bridant ses coûts énergétiques.
Au-delà de la seule technologie, la 5G rappelle l’importance fondamentale de l’humain.
Sans ressources humaines compétentes pour mettre en œuvre les possibilités ouvertes par la technologie, l’outil est inutile. La France et l’Europe manquent toujours de main d’œuvre dans les domaines scientifiques pour exploiter la palette d’applications 5G et développer ses promesses. Le besoin en formation et en recherche est fort. Par ailleurs, la 5G comme toute nouvelle technologie arrive avec ses vulnérabilités et ses risques industriels. Ces derniers sont aujourd’hui essentiellement présentés du point de vue de la cybersécurité car la 5G est perçue comme un amplificateur de l’exposition au risque cyber. Là encore, de nouvelles compétences seront nécessaires pour s’y préparer.
Sans homogénéisation de l’accès à cette technologie sur le territoire français et à l’échelle européenne, donc sans stratégie commune entre les États membres, la 5G participera mécaniquement à l’aggravation des fractures sociales et économiques en Europe et en France.
Suite à votre lecture du rapport et des scénarios, nous vous remercions de partager vos réactions et commentaires à cigref@cigref.fr. Vos remarques et idées permettent de nourrir la réflexion et l’analyse prospective.
Méthode et scénarios proposés
L’étude de la 5G à horizon 2030 a été menée durant 6 ateliers regroupant plus d’une trentaine de membres, nourrie par 3 interventions externes, et guidée par la méthode d’analyse prospective de Futuribles. Elle a permis de dessiner plusieurs trajectoires possibles de la 5G en France et en Europe. Ce rapport propose les cinq scénarios retenus dans le cadre de cette étude afin de nourrir la réflexion et préparer les entreprises à plusieurs futurs alternatifs.
Ces scénarios articulent différentes hypothèses prospectives provenant des 6 variables clés de la technologie 5G :
Variable 1 : vitesse de déploiement et des usages de la 5G ;
Variable 2 : adoption ou pas de la 5G par les acteurs économiques ;
Variable 3 : risques en termes de résilience des infrastructures, de cybersécurité et de protection des données sur les réseaux 5G ;
Variable 4 : réaction des opinions publiques sur la 5G ;
Variable 5 : régulations et gouvernance de la 5G ;
Variable 6 : interactions entre les enjeux de géopolitique mondiale et la technologie 5G.
Les scénarios prospectifs proposés n’ont pas pour vocation de prédire l’avenir mais de donner des figures repères des futurs possibles du déploiement de la 5G en Europe à horizon 2030. Plutôt que de rechercher l’exhaustivité des scénarios, nous avons pris le parti d’en choisir cinq :
La 5G transatlantique – La France derrière les Etats-Unis, contre la puissance chinoise
Dans ce scénario, la 5G est inégalement déployée sur le territoire français et dans les secteurs d’activité. La France et l’Europe ont été fragilisées par la crise Covid et par les pénuries de matières premières pour produire leur propre technologie 5G. Les États-Unis font pression sur leurs alliés historiques pour freiner la montée en puissance de la Chine en Europe.
La 5G raisonnée – Innovation pour l’environnement et les territoires en France
La France et l’Europe ont investi la 5G pour la mettre au service du bien commun en l’utilisant comme un outil pour les territoires et les individus. Ce choix stratégique qui contraint les opérateurs à offrir une égalité d’accès au service et qui assure de limiter les externalités négatives de la technologie en matière environnementale, s’inscrit dans une logique d’indépendance de l’Union Européenne.
La 5G comme vecteur de puissance – L’Europe et la France dans la course géopolitique
Après la crise Covid, l’Europe a choisi de se libérer de toute influence étrangère et d’asseoir son leadership à l’échelle internationale en finançant massivement la recherche et les initiatives industrielles afin d’imposer ses standards et ses normes. Cependant, le déploiement de la 5G poussé par des logiques économiques et productivistes rencontre le rejet d’une partie de la population qui ralentit son adoption dans certains territoires.
La 5G asiatique – Extension du modèle chinois en Europe
La 5G est déployée dans une logique de productivité et d’accroissement de la concurrence et donc de façon inégale sur le territoire français. Ces disparités territoriales entraînent un mécontentement marqué au sein de la population avec un durcissement des oppositions. Affaiblie par la crise Covid, l’Union Européenne n’arrive pas à affirmer son indépendance technologique, et laisse la place libre aux acteurs étrangers, dont les acteurs chinois.
La 5G oubliée – Divergences européennes, innovations limitées en France
Faute de moyens dans un contexte de crise économique liée à la Covid 19, les opérateurs et les industriels français n’ont pas pu déployer très largement la 5G sur le territoire. Ce retard sur les infrastructures télécom a un impact sur le dynamisme économique de la France amplifié par le déploiement massif de la 5G à l’international. La population a d’autres sujets d’inquiétude et ne s’oppose pas à cette technologie. Traversant une crise profonde de ses institutions, l’Union Européenne n’est pas capable de donner des directives de régulations communes ou de développer une stratégie industrielle concertée : autonomie industrielle versus alliance avec la Chine et les Etats-Unis. Cette division entraîne de nombreuses crises cyber et la France n’a aucun poids.
This report is also available in English. Click here to view it.