À l’occasion de sa 52ème Assemblée générale, le Cigref a dévoilé l’édition 2022 de son Rapport d’orientation stratégique, « Futurs numériques : incertitudes et conséquences ».
« En publiant cette édition 2022 de son Rapport d’orientation stratégique, le Cigref achève le premier cycle de trois ans de ses travaux prospectifs menés avec le soutien de Futuribles. » Extrait de l’édito de Jean-Claude Laroche, Président du Cigref.
Le Rapport d’Orientation Stratégique 2022 du Cigref s’inscrit dans la lignée des ROS 2020 et 2021. En ce sens, ce document est, simultanément, le prolongement des rapports précédents et une brique supplémentaire apportée à la réflexion stratégique du Cigref pour définir ses activités et son plan de travail. Aussi s’articule-t-il autour de trois parties complémentaires : les deux premières constituées respectivement de la veille prospective et d’une actualisation des scénarios pour les futurs numériques, puis une troisième présentant dix messages-clés à destination des organisations pour s’adapter aux futurs numériques.
De la même façon que nous nous y sommes prêtés dans les éditions précédentes, la note de contexte rédigée par Henri d’Agrain, Délégué général du Cigref, introduit les travaux prospectifs du Cigref présentés dans ce rapport d’orientation stratégique 2022. Elle permet de dresser un panorama aussi factuel que possible de la situation générale dans laquelle ce rapport a été rédigé, en juillet 2022. Cette note de contexte s’avère d’autant plus nécessaire que cette situation a considérablement évolué depuis l’été 2021, le paysage géopolitique, politique, économique, social, sanitaire et environnemental s’étant transformé de manière inédite en France, en Europe et dans le monde.
La veille prospective et les scénarios ont été illustrés par des créations originales produites par M. Vincent Roland. Ces œuvres ont pour ambition de stimuler les imaginaires de nos lecteurs, pour se plonger dans les futurs numériques possibles proposés dans le ROS.
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PARTIE 1. VEILLE PROSPECTIVE
Cette première partie déroule une veille prospective sur les cinq grands champs de transformation du numérique identifiés dans le premier rapport d’orientation stratégique publié en octobre 2020. Ils permettent de concentrer la réflexion poursuivie ici sur cinq thématiques-clés couvrant largement les différentes facettes du numérique et identifiant leurs divers enjeux. Ces champs de veille ne sont pas exhaustifs mais ils proposent une réflexion transversale sur le numérique pour nourrir les travaux du Cigref, ainsi que pour renseigner ses membres sur les évolutions majeures auxquelles ils doivent se préparer. Chacun de ces champs thématiques a été actualisé en 2021 puis en 2022. Là encore, cette actualisation, loin d’être exhaustive, s’appuie néanmoins sur une veille rigoureuse ainsi que sur des entretiens avec les experts membres du Comité d’Orientation Stratégique. Elle cherche à rendre compte des préoccupations principales des membres du Cigref pour les 10-15 ans à venir. En voici les grandes lignes.
CHAMP 1. ENJEUX TECHNOLOGIQUES ET NOUVEAUX USAGES
Le déploiement de la technologie cloud au sein des organisations se poursuit progressivement, de même que celui des réseaux et infrastructures 5G à travers l’Europe, même si ce dernier demeure moins rapide qu’escompté. À l’inverse, les efforts de R&D sur l’informatique quantique se sont, eux, fortement renforcés, à tel point que les premières applications concrètes devraient arriver plus vite que prévu, dès 2030. En parallèle, l’UE cherche à réguler l’espace numérique notamment en proposant d’encadrer les usages de l’intelligence artificielle. Mais d’autres technologies potentiellement révolutionnaires, les NFT et les métavers par exemple, ont fait leur apparition (ou réapparition) et suscitent de nombreux questionnements, notamment en termes de législation. Enfin, cette hyper-technologisation croissante de la société, accélérée par la crise sanitaire, suscite de plus en plus de mouvements de résistance.
CHAMP 2. NUMÉRIQUE ET ENVIRONNEMENT
Face à l’urgence climatique encore mise en exergue dans les récentes publications du GIEC, la capacité des organisations à maîtriser leur empreinte environnementale devient primordiale. Les technologies sont consommatrices d’énergie et de ressources rares mais sont aussi porteuses de solutions pour piloter plus efficacement la transition écologique. Les organisations se préoccupent davantage de ces enjeux et les incluent dans leur politique RSE, sous l’égide d’initiatives européennes et du gouvernement français, en avance sur le sujet grâce à la promulgation de la loi REEN en novembre 2021. La notion de responsabilité numérique s’étend également aux enjeux d’accessibilité du numérique au sein de la société.
CHAMP 3. RISQUES CYBER ET ENJEUX GÉOPOLITIQUES
Alors que le nombre et l’intensité des cyberattaques affectant les organisations publiques comme privées ne décroît pas, ces dernières s’inquiètent de plus en plus de leur capacité à assurer ce risque. Par ailleurs, les enjeux géopolitiques liés au numérique ont particulièrement été étudiés dans ce rapport à l’aune du conflit entre l’Ukraine et la Russie : utilisation du cyberespace comme moyen de pression politique, risques sécuritaires sur les câbles sous-marins et compétition accélérée dans le domaine des satellites basse-orbite. Sont également évoqués le rôle du continent africain face aux enjeux numériques mondiaux et l’évolution de la Chine dans cet espace numérique.
CHAMP 4. FOURNISSEURS ET SERVICES NUMÉRIQUES
La position hégémonique des fournisseurs américains et chinois de services numériques (Google, Microsoft, Amazon…) s’est renforcée à la faveur de nombreuses acquisitions dont le montant a atteint de nouveaux records en 2021. Face à cela, l’Union européenne continue à structurer son corpus réglementaire, pour défendre l’indépendance de ses entreprises et applique les premières sanctions découlant du RGPD. De leur côté, certaines entreprises concluent des partenariats technologiques avec ces géants numériques ou, à l’inverse, renforcent leur politique open-source. Par ailleurs, les gouvernements chinois et américain cherchent à contrôler davantage leurs entreprises numériques, à la fois instruments dans la guerre commerciale qui les oppose, mais aussi sujets d’inquiétude du fait de leur puissance croissante.
CHAMP 5. NOUVELLES FORMES DE TRAVAIL ET ENGAGEMENT DES COLLABORATEURS
La pénurie de talents dans le domaine numérique est une tendance lourde. Elle profite à une catégorie de travailleurs qui exigent des salaires de plus en plus importants. Cette pénurie, conséquence d’un manque de formations adéquates, est particulièrement prégnante en France et en Allemagne. Cette situation a un impact sur les organisations, qui sont appelées à innover dans leurs méthodes de recrutement pour attirer davantage de candidats. D’un autre côté, elles doivent faire face à une nouvelle génération de travailleurs qui recherchent davantage de sens dans leur travail et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et privée. La démocratisation du télétravail entraîne des conséquences durables sur la gestion du parc immobilier d’entreprise et fait le succès des espaces de coworking. D’autres tendances font également leur apparition pour repenser les formes de travail, telles que l’expérimentation de la semaine de quatre jours dans plusieurs pays et entreprises européennes.
PARTIE 2. ACTUALISATION DES SCÉNARIOS SUR LES FUTURS NUMÉRIQUES
Intimement liée à la veille prospective, la seconde partie de ce rapport propose quatre scénarios, établis en 2021, sur les futurs numériques à horizon 2030-2035. Ces scénarios ont été actualisés à la lumière des récents événements et nous apparaissent toujours robustes. Ils présentent quelques archétypes de trajectoires possibles pour l’Europe et le monde dans la décennie à venir, avec un focus sur les enjeux numériques. Ils ont été construits grâce aux éléments identifiés dans la veille, articulés de manière cohérente et vraisemblable suivant deux axes : l’évolution du leadership mondial et l’évolution du paysage numérique (jeux d’acteurs, régulations…) à horizon 2035. Bien sûr, d’autres configurations seraient envisageables. Mais les figures de l’avenir proposées ici permettent d’encadrer la réflexion sur les futurs grands enjeux des 10-15 prochaines années. Avant de présenter ces scénarios actualisés, cette partie propose aussi une synthèse des grandes incertitudes auxquelles les organisations sont aujourd’hui confrontées.
LES NOUVELLES INCERTITUDES À HORIZON 2035
La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine en février 2022 est venue brutalement rebattre les cartes géopolitiques et géoéconomiques des dix prochaines années et interroge sur le futur de la Russie, la constitution de nouvelles alliances mondiales, les conséquences du conflit sur l’UE et les chaînes d’approvisionnement. À ces interrogations, s’ajoutent d’autres incertitudes à horizon 2030-2035 concernant le futur de la Chine, le rôle et le poids des États émergents et l’avenir des méga-projets numériques.
SCÉNARIO 1. MONDIALISATION RÉGULÉE PAR LES ÉQUILIBRES GÉOPOLITIQUES
Le premier scénario fait le pari d’un monde où la crise sanitaire, mais surtout la guerre qui a opposé la Russie et l’Ukraine, aura servi de déclic et de prise de conscience pour les États comme pour leur population de la nécessité de mettre en place de nouveaux outils internationaux de régulation. Les interdépendances économiques favoriseraient une logique de jeux d’influence et de soft power, au détriment d’un conflit armé.
Attention toutefois, le conflit en Ukraine a bien renforcé une logique de coopération internationale face à la Russie mais il est aussi révélateur de l’échec des institutions internationales et des puissances mondiales à réguler les conflits et à les endiguer.
SCÉNARIO 2. VERS UNE « EUROPE PUISSANCE » DANS UN MONDE RÉGIONALISÉ
Dans ce scénario, les échanges économiques et les systèmes de normes (sanitaires, juridiques, commerciales…) se restructurent à l’échelle de grandes plaques régionales. Cette régionalisation des rapports de force et des relations économiques résulte de profondes divergences entre États, révélées notamment par la guerre en Ukraine, mais aussi par les répercussions de long-terme de la crise sanitaire Covid-19 et les impacts disparates du réchauffement climatique sur les pays.
Aujourd’hui, cette régionalisation du monde apparaît renforcée du fait d’une gestion désynchronisée de la crise Covid au niveau international, et des réactions étatiques face à l’invasion russe en Ukraine entre soutien, neutralité et condamnation. Parallèlement, l’Europe investit dans des ressources stratégiques et consolide son appareil législatif pour préserver son indépendance.
SCÉNARIO 3. UNE CHINE CONQUÉRANTE DANS UN MONDE BIPOLAIRE
Ce scénario illustre une trajectoire dans laquelle la Chine parvient à s’affirmer comme leader des échanges internationaux. Profitant d’un contexte de multiplication des crises, la Chine a su tirer parti de la guerre en Ukraine, en renforçant ses liens avec une Russie affaiblie. Cette montée en puissance accélérée de la Chine exacerbe les tensions avec les États-Unis. Ce bras de fer oblige de nombreux pays du monde à choisir leur camp. Divisée et fragilisée, l’Europe n’affirme pas sa « troisième voie ».
De fait, la scission internationale provoquée par la guerre Russie-Ukraine pourrait profiter à la Chine, en particulier si l’Europe peinait à structurer une défense commune.
SCÉNARIO 4. FAR WEST, COLONIES DIGITALES ET CARTELS NUMÉRIQUES
Ce dernier scénario propose une immersion dans un environnement dégradé, fragilisé par la crise sanitaire puis par le conflit entre la Russie et l’Ukraine qui a éclaté aux portes de l’Europe. Très fragilisés par leur endettement, de nombreux États ne sont plus en mesure d’y faire face. Les géants du numérique, relativement préservés par la crise économique et dotés d’immenses capitaux financiers, profitent alors de cette situation pour s’imposer comme partenaires privilégiés pour les pays et les entreprises en Europe, et étendent même leurs services pour remplir certaines fonctions régaliennes des États.
PARTIE 3. MESSAGES-CLÉS POUR LES ORGANISATIONS ET LEURS DIRECTIONS DU NUMÉRIQUE
Cette année encore, le Cigref a innové pour sa nouvelle édition du ROS, rapport qui s’inscrit dans un processus de réflexion continue, pour lier recherche prospective et actions concrètes. Ainsi, afin d’inscrire plus encore les travaux prospectifs ainsi réalisés au cœur des réflexions stratégiques des membres de l’association, des ateliers d’immersion leur ont été proposés pour chacun des scénarios. Ces ateliers, dont la méthodologie plus détaillée est présentée en annexe, ont permis, en sus des deux parties précédentes, de stabiliser dix messages-clés pour les directions du numérique des entreprises et organismes publics. Ces messages-clés ont pour ambition d’aider ces directions à se préparer aux transformations à venir. Les partager fait donc partie de la mission d’intérêt général que s’est fixée le Cigref dans le domaine numérique.
D’ici 2035, les directions du numérique des organisations ne devront plus simplement se préparer aux crises mais à leur enchaînement, voire à leur conjonction.
Dans ce contexte, les directions du numérique pourraient avoir à réinventer leur système de gestion des risques, dont leurs systèmes de protection face aux cyberattaques et aux risques hybrides, si les assurances traditionnelles ne sont plus en mesure de couvrir ces risques.
D’ici 2035, les organisations et leurs directions du numérique seront de plus en plus partie prenante des systèmes de sécurité des États en temps de crise.
D’ici 2035, les directions du numérique des organisations devront s’adapter à la régionalisation des normes, des réglementations et des chaînes de valeur. Cette régionalisation aura des impacts sur l’accessibilité des matières premières, le développement des infrastructures numériques et la gestion des bases de données.
D’ici 2035, les directions du numérique devront de plus en plus pondérer leurs choix d’investissements technologiques avec des critères tant environnementaux que de maîtrise des dépendances stratégiques.
L’arrivée de l’informatique quantique, plus rapidement que prévu, et celle des métavers font partie des grandes ruptures conceptuelles envisageables dans les 10 prochaines années que les directions du numérique peuvent anticiper et auxquelles elles doivent donc se préparer.
D’ici 2035, les directions du numérique devront gérer la pénurie de talents en Europe mais aussi dans les pays émergents.
D’ici 2035, les directions du numérique devront être des parties prenantes croissantes de l’engagement RSE des organisations, à la demande tant des collaborateurs que des clients et seront redevables devant les actionnaires et la direction générale.
D’ici 2035, les directions du numérique pourront être de plus en plus confrontées à des mouvements de résistance internes et sociétaux contre la tendance à l’hyper-technologisation.
D’ici 2035, la forte composante géopolitique et stratégique du numérique et sa contribution croissante à la performance économique de l’entreprise conduira à réévaluer le positionnement des directions du numérique au sein de la direction générale.