Rapport d’orientation stratégique 2021 – Pizza et supplément

11 octobre 2022 | ACTUALITÉS

Dans quelques semaines sortira la nouvelle édition 2022 du Rapport d’Orientation Stratégique du Cigref. En attendant, nous vous proposons de vous replonger dans l’univers de notre réflexion stratégique, en lisant ou relisant les nouvelles d’anticipation publiée en 2021, œuvres originales écrites par des auteurs de fiction, qui vous replongeront dans les scénarios prospectifs présentés par le Cigref. Bonne lecture !

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Chères étudiantes,

              Vous vous demandez comment j’ai obtenu l’emploi en question ?

              C’est simple.

              Un jeudi soir de septembre, j’avais commandé une pizza par l’intermédiaire de la plateforme de mon quartier. Elles ne sont ni meilleures ni livrées plus rapidement qu’avec les circuits des Géants Mondiaux. Je crois d’ailleurs que les ingrédients de base ont exactement la même provenance.

              J’avais pourtant la satisfaction, en utilisant le service de proximité, de soutenir directement l’économie  locale et de préserver ce qui pouvait l’être de mes préférences personnelles.

              J’avais opté pour une garniture inhabituelle dont je ne dirai rien. C’est mon droit le plus strict. Je savais que ce choix ne serait pas enregistré ni gravé à vie dans un profil pour être analysé par les puissants algorithmes des Neuf Géants. Tout au plus risquait-on de me proposer une ristourne ridicule pour le cas où j’accepterais de réessayer ce même goût à l’avenir.

              Mais je m’égare.

              J’attendais donc ma livraison tout en rangeant les vêtements que j’avais récupérés, parfaitement nettoyés et pliés, chez Annie, ma voisine du deuxième. Elle rendait des services de lingère contre des crédits-temps ou des jetons d’achats et si elle me coûtait un peu plus cher que les tout-en-un des Neuf GM, elle me permettait de garder mes affaires plus longtemps avec de menues réparations : un ourlet, une reprise, un patch… Et puis j’avais confiance. Annie ne décortiquait pas mes habitudes en fonction de ma fréquence d’utilisation de certaines tenues ou des taches et des odeurs qui accrochaient au tissu. Elle n’avait ni le temps ni le matériel pour ça.

              Je sais ce que vous vous dites.

              Certains de mes amis ont pu aussi juger dérisoire, voire légèrement paranoïaque, mon besoin de garder un peu de vie privée. « Tes efforts, déjà, te trahissent bien plus sûrement que toutes ces données que tu protèges », disaient-ils.

              C’est peut-être vrai.

              J’attendais ma pizza, donc, et je me demandais quelle proposition me ferait le livreur du jour. Je savais que ces travailleurs de la restauration étaient souvent, en même temps, employés par d’autres entreprises et que ces dernières profitaient du fait qu’ils entraient chez les gens pour tenter des techniques anciennes de démarchage en porte-à-porte.

              Les livreurs devaient, en un coup d’œil, évaluer vos moyens et votre mode de vie pour vous faire une offre irrésistible et sur mesure, portant sur un contrat d’assurance, du mobilier, un abonnement de santé ou de loisirs…

              Quand, enfin, on sonna à la porte, je me précipitai pour ouvrir. J’étais affamée, vous vous en doutez, impatiente de valider la transaction pour profiter de mon repas dont le fumet me titillait les narines.

              « Puis-je me permettre de vous présenter une occasion exceptionnelle de changer de vie ? »

              Le langage des livreurs était lui aussi « à l’ancienne » et leur extrême politesse rendait les refus plus difficiles à formuler. Le jeune homme me tendit la boîte réutilisable typique des plateformes locales. Son discours semblait vaguement religieux, mais, par ailleurs, je savais que le simple fait d’en écouter la suite, même sans signer quoi que ce soit, validerait sa prestation et assurerait au travailleur un petit complément de revenu. Alors…

              « Très bien. Mais vite, car j’ai faim ! »

              Il afficha un sourire sur son masque à expressions et, à ma grande surprise, me proposa une offre d’emploi.

Depuis la dernière flambée virale, la crise s’était encore accentuée et les postes, tous secteurs confondus, restaient rarissimes. Nous étions tous plus ou moins autoentrepreneurs et nous nous réjouissions quand se présentait la possibilité d’une vacation salariée de quelques jours correspondant à nos capacités.

              Ce dont me parlait le livreur, c’était autre chose : un emploi fixe, autrement dit, pour plusieurs mois.

              J’ai parcouru le descriptif et, au moment où j’allais décliner, persuadée de ne pas avoir, de toute façon, le profil requis, j’ai repensé à ce que disait mon ancienne professeure de lettres.

              Elle avait averti l’ensemble des filles de la promo :

              « Vous allez vous dévaloriser. Le monde est ainsi fait et le marché du travail compte dessus. Mais regardez comme font ces messieurs ! Ils foncent, compétents ou pas, ils disent oui, puis, s’il le faut, ils réfléchissent. Réfléchissez, si vous voulez, mais ne commencez pas par dire non ! »

              Alors, torturée par la faim, j’ai choisi l’option : « Garder l’information pour plus tard. »

Enfin, une demi-heure après, une fois repue et seule face à l’offre d’emploi, j’avoue que je ne savais plus du tout quoi penser.

              En cherchant bien, je cochais pas mal de cases, mais l’intitulé n’avait aucun rapport avec ma spécialité, les lettres classiques, la même que vous.

              Je validais, dans ma vie personnelle, les compétences de résolution de problèmes et de gestion du temps. J’avais adoré les cours de logique formelle pendant mes études et je faisais preuve de créativité et d’adaptabilité au quotidien.

              En revanche, je ne maîtrisais aucun des trois langages cités et dont la connaissance était annoncée comme souhaitable. Il s’agissait de standards anciens délaissés par les Neuf Géants Mondiaux, ce qui était compréhensible de la part d’une société indépendante. Plus surprenant, parmi les critères impératifs figurait la mention « excellente culture générale et pratique d’une langue morte. »

              J’ai estimé que, tout compte fait, je n’avais rien à perdre, donc j’ai postulé.

              Trois jours après, alors que je n’y pensais même plus, j’ai été convoquée pour l’entretien d’embauche chez Énergies De France. Un moment surréaliste !

              « Les informaticiens sont une denrée rare. Les informaticiens non affiliés le sont plus encore », m’avait expliqué d’emblée mon premier interlocuteur.

              Ces propos confirmaient les rumeurs selon lesquelles les travailleurs formés par les 9 GM seraient liés à vie à leurs entreprises. Vous avez dû l’entendre, vous aussi !

              Certaines personnes racontaient des histoires de puces implantées au moment de la remise de diplôme ou de bracelets ayant la même fonction de traçage ; d’autres décrivaient une façon particulière de coder qui ouvrirait systématiquement des failles dans le parc des autres organisations. Pour ma part, je crois qu’il s’agit avant tout de ce qu’on nomme « la reconnaissance du ventre », assortie du choix, somme toute rationnel, de la sécurité garantie par les puissantes multinationales. Pourquoi aller travailler ailleurs ?

              Quoi qu’il en soit, je découvrais combien il était difficile pour les entreprises se maintenant hors de la coupe des Neuf de trouver des développeurs informatiques. Or, un fournisseur d’énergies, avec une forte participation de l’État français et de plusieurs organisations indépendantes dans son capital, ne pouvait se permettre de renoncer à sa souveraineté.

              « Nous cherchons à recruter des gens capables de coder proprement, tout en étant familiers de ce qui constitue l’exception culturelle française », avait ajouté le recruteur.

              J’ai ainsi compris que mes connaissances littéraires seraient finalement précieuses pour contourner l’anglais technique, les règles des Géants et rendre, grâce à certaines références, les programmes plus robustes face aux cyberattaques et au sabotage numérique.

              « Ce sera un travail d’équipe, bien sûr, et nous fournirons ce qui manque à votre formation. Nous tâcherons de vous proposer les meilleures conditions pour vous garder avec nous le plus longtemps possible ! », a-t-il encore précisé.

              Je ne pouvais pas refuser.

              Je leur ai tout de même fait part de mon étonnement quant au moyen choisi pour relayer l’annonce. « Faut-il que vous ayez eu du mal à trouver en suivant les canaux plus classiques ! »

              Mais le responsable des ressources humaines m’a expliqué que, justement, ils n’avaient diffusé leur offre que par le réseau de livraison.

              « Le service de profilage a établi que l’utilisation de la plateforme de restauration locale ferait un filtre parfait pour repérer la bonne personne. J’espère que vous acceptez de nous rejoindre ! »

Ketty Steward

Ketty Steward est une écrivaine née en 1976 à la Martinique. Ses œuvres, publiées depuis 2003, relèvent aussi bien de la science-fiction et du fantastique que de la poésie ou de la littérature générale, mais peuvent hybrider les genres et les approches. De formation initiale scientifique, elle a longtemps travaillé dans l’éducation avant de devenir psychologue clinicienne. Elle anime des ateliers d’écriture et préside l’association Réseau Université de la Pluralité qui promeut les imaginaires alternatifs du futur.
Son site internet : http://www.ktsteward.net

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