Comment les entreprises collaborent-elles ?
Quels sont les usages et les effets des technologies de l’information à l’échelle d’un secteur économique entier ? Pour répondre à cette question, les auteurs de l’étude ILC1 “Innovating in a learning community” se sont appuyés sur le cas de la distribution pharmaceutique en Chine, offrant un terrain idéal pour étudier l’émergence et l’évolution d’une infrastructure d’information sectorielle.
L’objectif de ce projet de recherche était de comprendre comment les entreprises développent une infrastructure d’information ouverte, non seulement en identifiant ce qui motive les entreprises à s’engager dans de telles démarches, mais aussi en répondant à des questions liées :
- Comment les entreprises délimitent-elles des périmètres d’innovation propriétaire dans les projets d’innovation ouverte ?
- Comment coordonnent-elles le développement d’infrastructures innovantes ?
- Quels processus et pratiques favorisent ou perturbent de tels efforts collectifs ?
- Est-ce que les projets d’infrastructures collectives donnent naissance à des pratiques spécifiques qui ont leurs propres règles, normes et structures idéales ?
- Si oui, est-ce que ces pratiques émergentes entravent ou encouragent les activités à l’échelle des entreprises individuelles ?
Ce projet repose sur un environnement de recherche dénommé « communauté apprenante ». Elle désigne un groupe d’industriels engagés dans une action collective pour créer une nouvelle infrastructure d’information. Dans le cas étudié, les chercheurs ont mis en place une communauté regroupant des hôpitaux, des fabricants de médicaments et des pharmacies, ainsi que différents intermédiaires : grossistes et distributeurs, entreprises de logistique, site de e-commerce…
Cinq constats se dégagent
Le secteur gagne en maturité, les entreprises intègrent les systèmes en interne, les partenariats verticaux deviennent plus coopératifs et incluent le développement de connections entre systèmes d’information.
Les entreprises s’engagent indirectement dans une coopération horizontale, facilitée par des parties tierces.
Les actions du gouvernement pour établir une plate-forme d’échange électronique gênent le développement de liaisons de système à système. Les acteurs utilisent en effet cette plate-forme au côté de systèmes B2B développés de manière privée et doivent maintenir les deux. En outre certains distributeurs qui avaient entrepris le développement de plates-formes ouvertes ont abandonné quand le gouvernement a lancé sa propre initiative.
Les actions du gouvernement pour consolider le secteur ont en revanche aidé à développer des plates-formes d’échange interentreprises privées et ont marginalisé les plates-formes de e-commerce mandatées par le gouvernement. La consolidation a incité les entreprises à adopter des plates-formes B2B pour accroître l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement, mais elles sont néanmoins réticentes à utiliser les outils mandatés par le gouvernement dans leurs processus métiers.
L’implication du gouvernement dans l’établissement de standards a empêché le secteur de développer des standards e-commerces. Les entreprises avaient notamment besoin de codes produits standardisés pour faciliter les échanges, mais elles ont attendu que le gouvernement s’en charge, et le morcellement des organismes publics du domaine a rendu cette tâche trop complexe.
Les trois hypothèses des chercheurs
- Le développement d’une infrastructure d’information est un phénomène qui s’effectue sur plusieurs niveaux. Dans le cas observé, l’émergence s’est fait de manière graduelle, tant pour les entreprises qui se sont dotées peu à peu de systèmes d’information globaux que pour le secteur, qui s’est consolidé.
- Le développement d’une infrastructure d’information implique une coopération entre concurrents (coopétition), dont la forme concrète est déterminée par des facteurs institutionnels.
Si, dans les pays occidentaux, la « coopétition » passe souvent par des projets communs explicites et menés de manière formalisée, comme des comités de standardisation, en Chine les acteurs du secteur ont attendu que l’état ou des clients importants fassent office de catalyseurs. - Les discussions sur les voies possibles pour l’action collective nécessitent des espaces dédiés qui permettent un échange ouvert, libéré des pressions concurrentielles. A travers la création de la communauté apprenante, les chercheurs ont constaté que c’était la seule opportunité d’avoir des échanges ouverts entre les différents acteurs de l’industrie, en particulier les concurrents.
Les implications managériales : maîtriser les technologies et coopérer
En se basant sur leurs travaux, les chercheurs relèvent 3 caractéristiques pour l’entreprise à 2020 :
- Celle-ci maîtrise les technologies de l’ère du réseau à la perfection et peut donc aisément se connecter aux systèmes d’information de ses partenaires. Elle connaît les différents standards existants, dispose de procédures formalisées pour connecter ses systèmes à ceux de partenaires et comprend la répartition des coûts et bénéfices associée à de tels liens, qui peut être asymétrique. Elle évalue les investissements dans ces projets d’intégration en fonction de la réactivité apportée au marché plutôt qu’en fonction du coût.
- Elle est capable de coopérer facilement avec des acteurs externes, y compris des concurrents, car elle comprend les implications économiques et légales de telles coopérations, elle dispose de stratégies claires pour déterminer quels projets soutenir et comment, elle possède une organisation adaptée à ces coopérations et est active dans les forums d’échange.
- Elle guide le secteur dans le développement de pratiques sectorielles, car elle a acquis une position qui lui permet d’être écoutée des différents acteurs, notamment en établissant des normes et des arguments en faveur d’actions collectives.
Les points d’attention pour innover dans une communauté apprenante
Dans une industrie émergente, les infrastructures d’information peuvent se développer rapidement, avec peu de signes avant-coureurs. Les compagnies internationales doivent particulièrement prêter attention à ces signaux afin de trouver des opportunités de s’engager activement dans ce développement.
Les pratiques existantes d’un secteur peuvent apparaître bien plus résilientes qu’on ne l’imagine. Il faut comprendre leur origine historique avant de chercher à les changer. Malgré cela, le succès n’est pas garanti. Les entreprises ne doivent pas chercher à imposer des processus bien conçus sur ces pratiques, mais créer des lieux d’échange pour réfléchir sur ces pratiques et ouvrir la possibilité d’un changement.
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1 L’étude ILC a été menée par :
- Kai Reimers, Professeur de management des systèmes d’information à l’Université RWTH d’Aachen où il dirige un groupe de recherche sur le commerce électronique.
- Xunhua Guo, Professeur associé au Département des sciences de gestion et d’ingénierie à l’Université Tsinghua.
- Mingzhi Li, Université de Tsinghua.
- Bin Xie, Université de Tsinghua.