Pas d’informatique… pas de numérique !

Compétences informatiques, les enjeux pour la société numérique

Sorbonne-S-AbiteboulDans le cadre d’une journée de réflexion sur le thème « Quels talents pour l’entreprise numérique », proposée par l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Serge ABITEBOUL, Professeur ENS et Chercheur à l’INRIA, s’est exprimé sur l’importance et le rôle des compétences informatiques requises aujourd’hui.

A qui, quand et comment doit-on enseigner l’informatique aujourd’hui ?

Si l’on ne va pas former des informaticiens en CP, faut-il n’enseigner l’informatique qu’aux futurs ingénieurs, aux scientifiques, autrement dit aux Terminales S, en supposant que les autres n’en éprouveraient pas le besoin ?

Le Professeur Abiteboul remarque en préambule que l’enseignement de l’informatique repose pour commencer sur une sorte de « conflit terminologique ». Le reste du monde enseigne « the computer sciences », une appellation peu pertinente, parce que l’informatique n’est pas vraiment « une science de l’ordinateur », mais plutôt une « science de l’information ».

En France, on focalise sur le numérique. Numérique et informatique, ce n’est pas la même chose. L’informatique n’est pas tout le numérique. Le numérique est quelque chose de beaucoup plus englobant que l’informatique. Le monde d’aujourd’hui est numérique. On peut parler d’art numérique, on peut parler de culture numérique… Par exemple, Wikipédia est basé sur une philosophie de partage, du partage des connaissances. C’est donc extrêmement numérique. Mais est-ce de l’informatique ? Evidemment non. Mais cela ne marcherait pas sans informatique !

Une informatique nouvelle !

Le Professeur Abiteboul cite Yves Caseau pour qui « l’informatique s’est complètement reconstruite ». L’informatique actuelle n’est plus du tout l’informatique qui s’apprenait hier. Elle est de venue agile, beaucoup plus collaborative. Aujourd’hui, un programmeur brillant ne fait pas forcément des programmes très compliqués. Il a plusieurs fenêtres ouvertes, sur plusieurs coins du monde, dans lesquelles il va chercher des bouts de code ici, une librairie là, un algorithme  ailleurs, et puis il compose. Il fait de la programmation à partir des composants. Il écrit des programmes de façon extrêmement agile, en s’appuyant sur des ressources numériques.

L’informatique est partout…

Le Professeur Abiteboul propose de retenir la définition de l’informatique donnée par la Société Informatique de France : « l’informatique est une science qui est au cœur du numérique et qui, d’une certaine façon, rend le numérique possible ».

Il rappelle ensuite que l’informatique est partout. Dans l’industrie, celle de l’automobile par exemple, où la part d’informatique est considérable. L’innovation, notamment dans la conception d’un moyen de transport aujourd’hui, c’est beaucoup d’informatique ! On peut aussi citer le domaine de la presse. Les journaux deviennent numériques, ce qui veut dire que les journaux ne fonctionnent plus que parce qu’il y a de l’informatique derrière. Il y a même des algorithmes qui génèrent automatiquement, ou semi-automatiquement, des journaux.

Si les réseaux sociaux ne sont pas de l’informatique, Facebook, Twitter ou Linkedin ne fonctionnent que parce qu’il y a de l’informatique derrière. On peut multiplier les exemples. Qui aurait dit il y a quelques années que des services comme les taxis pourraient reposer sur l’informatique ? Aujourd’hui, il y a Blablacar, Uber…

On n’est pas surpris que les sciences dures soient fortement impactées par l’informatique. Mais elles ne sont pas les seules. Les sciences humaines aussi. A l’exemple d’un franciscain qui avait commencé à étudier des textes de Saint Thomas d’Aquin en utilisant un ordinateur, en utilisant des co-références, ou des occurrences. Ce n’est pas récent, mais maintenant, avec des ordinateurs de plus en plus puissants, on peut exploiter de plus en plus d’informations, par exemples pour faire des études sociologiques.

Quelles différences peut-on faire entre l’utilisation de l’informatique pour les sciences dures et pour ces sciences des humanités numériques ? Il ne faut pas se limiter aux outils. Il faut regarder aussi en quoi cela change la pensée des gens, leur façon de travailler. Avec les bases de données, les réseaux, l’hypertexte, le partage des informations… tout cela fait qu’un historien ou un mathématicien aujourd’hui, se retrouve à disposer d’outils, de ressources  scientifiques de la communauté mondiale.

Même si les scientifiques ont toujours partagé, échangé des idées… la façon de communiquer d’interagir, a fait un pas énorme. Les résultats sont beaucoup plus fragmentaires, « on peut avoir un résultat qui est juste un petit bout dans une grande chose ». Cela vaut en physique, mais aussi en biologie, en histoire, en sociologie, etc. Il n’y a pas de différences entre les sciences humaines et sociales et les sciences dures dans leur utilisation de l’informatique.

Pour qui alors l’enseignement de l’informatique, le besoin de compétences informatiques ?

L’informatique, d’une certaine façon, fait le pont entre sciences dures et sciences humaines. C’est antinomique avec « le mur qui existe au sein de l’Education nationale entre les « C » d’un côté et les « L » de l’autre » ! L’informatique est au service de tous et de tout le monde. Les littéraires doivent apprendre aussi de l’informatique, parce qu’il faut qu’ils comprennent les outils qu’ils utilisent tous les jours. Les frontières doivent être neutralisées. D’ailleurs, lorsque l’on s’intéresse aux décrocheurs qui disent : « Moi, je ne comprends rien en maths. Pour moi, aller en S, c’est du rêve… », si vous les mettez en face d’un ordinateur, ils se débrouillent très bien.

Si les enfants des classes favorisées savent se servir des moteurs de recherches, des mails… une fracture est en train de se creuser avec une partie de la population pour qui envoyer un email n’est pas possible, ou ouvrir Wikipédia n’est pas le réflexe. C’est aussi le rôle de l’Education Nationale de s’adresser aux populations les moins numérisées et de leur apprendre ce genre de choses

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Cet article s’appuie sur les notes prises pendant la conférence, avec tous les risques d’interprétation que cela induit. Il n’engage donc pas les personnes citées.

 

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