Des questions existentielles pour la recherche scientifique !
Parmi les questions que pose le numérique à la Recherche, au-delà de celles, classiques, que soulève l’éthique, au moins deux, existentielles, pourraient devraient interpeller directement la science, le monde de la recherche :
- Le numérique nous a-t-il coupé la parole ?
- L’Intelligence Artificielle sera-t-elle l’enfant parricide de la Recherche ?
Dit autrement, la Recherche est-elle « menacée » par le numérique ? On évoque l’indispensable « transformation numérique » pour toute entreprise qui voudrait passer le cap 2020 ! C’est le fondement même des recherches conduites ici dans le cadre du programme international ISD : tracer le design de l’entreprise de 2020… Ne serait-il pas utopique de penser que la recherche évoluerait dans une bulle à part, indifférente à cet environnement mutant !
Or, dans un monde numérique de réseau, de partage, d’échange, peut-on survivre en restant inaudible ? Surtout quand perce une concurrence technologique, celle de l’intelligence augmentée… D’autant que, sur le plan existentiel, qu’y a-t-il de plus important que pouvoir « rendre compte de ce que l’on a su faire » ? La recherche scientifique n’a pas pour seule vocation de découvrir et comprendre les fondements de la société et des peuples qui l’habitent. Elle a le devoir de diffuser ses résultats. Jusqu’à « hier », la recherche pouvait cantonner cette diffusion à un bastion microcosmique où une certaine opacité pouvait être perçue comme gage de sérieux. Est-ce toujours le cas alors que le monde autour s’ouvre et réseaute de plus en plus ? Ce particularisme ne devient-il pas autodestructeur?
Pour tout internaute sachant cliquer… chercher c’est trouver !
Au-delà de l’aspect communicationnel qui est une des spécificités de l’ère numérique, une autre dimension doit retenir l’attention du monde de la Recherche : plus que jamais, avec la performance exponentielle des moteurs de recherche, le partage entre internautes, « chercher c’est trouver » ! Certes, l’expérimentation, l’analyse approfondie, la mise en perspective avérée, restent l’apanage du chercheur. Mais quelques recoupements de résultats de recherche ici et là permettent à tout un chacun d’approcher des perceptions scientifiques… sans doute suffisantes pour répondre à ses appétits culturels ou ses besoins documentaires. Il n’y a plus guère de question qui reste hors d’atteinte de tout internaute sachant cliquer ! Alors, pourquoi ne pas lui faciliter les choses pour, du même coup, se valoriser en tant que chercheur et revaloriser la recherche en général ?
Parler science à l’ère numérique, une science à exploiter !
Rendre la science accessible à la conscience commune, un mythe ou un devoir ?
Nous avions déjà évoqué1 les propos de Heinz Wissmann, philologue et philosophe, pour qui « c’est une véritable obligation culturelle de notre société de faire en sorte que la science puisse être reliée, d’une manière ou d’une autre, à l’horizon d’expérience de tout le monde ! » Certes, il souligne que « c’est un problème de langage, de création… qui demande un immense effort d’expression, au-delà de la compétence technique… On ne peut pas faire aimer la science par les moyens de la science, par le discours de la science !… Il faut utiliser un discours qui n’est pas forcément celui de l’expérience ordinaire mais celui de l’expérience partagée. Ce discours-là est celui des lettrés depuis toujours dans l’acception originelle du terme… ». Mais la science ne mérite-t-elle pas cet effort de langage ? Surtout si cet effort lui devient précieux pour réussir sa propre transformation numérique ?…
Parler science n’est donc pas tout à fait identique à notre langage commun, au sens où cela demande déjà un effort de compréhension. Mais pourquoi ne pas former les chercheurs à interagir avec les médias ? Leur donner quelques « clés » pour faciliter le décryptage de leur science, sans risque de dénaturation ! D’ailleurs, pour Katherine Lyon-Daniel, directrice adjointe de la communication au CDC « c’est au scientifiques de comprendre le langage du public et non l’inverse ».
Rendre la science participative, le défi du chercheur 3.0 !
Au-delà du « devoir » que peut avoir le chercheur de partager ses résultats de recherche, celui-ci en reçoit aussi quelque avantage ! En effet, pour Thierry Viéville, directeur de recherche de l’INRIA (Neurosciences Computationelles), « partager la science avec les citoyens et les écouter est un vrai régal intellectuel » !
Et, quand l’expérience client entre en force dans la stratégie marketing de l’entreprise avec le web 3.0, quid de l’échange possible entre la Recherche et l’internaute ? L’une n’a-t-il rien à apprendre de l’autre?
Valérie Schafer, chargée de recherche à l’Institut des sciences de la communication du CNRS, évoquait en 2012, dans le cadre du colloque « Communiquer la science via internet » : « depuis les années 2000, le web 2.0, engage à nouveau un tournant vers davantage d’horizontalité, on cherche à communiquer vers un public plus large, et à recevoir de lui […] au-delà des aspects techniques, les relations science/société ont évolué […] il paraît important de passer d’une information verticale à une communication qui prenne en compte l’émergence de la société civile et des associations dans les débats […]à l’heure actuelle, on parle de science 2.0 et de sciences participatives, des plateformes proposent des modèles participatifs […]si les scientifiques ont été les premiers créateurs d’internet, aujourd’hui ils semblent courir après ».
Cette évolution vers une science participative se heurte à un autre défi qui est celui du rythme : le temps de la recherche est un temps long. Celui du numérique est de plus en plus rapide ! Un défi qui devra trouver réponse face aux « générations X » de chercheurs qui n’auront d’autre rythme culturel que celui du numérique, des objets connectés…
En prolongement :
Colloque 2014 « communiquer la science » qui proposera des « regards croisés entre scientifiques, médias et publics »
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1 De l’illettrisme scientifique à une culture partagée
Oh le bel exemple de citation hors contexte de quelqu’un (moi) qui n’a pas été contacté, ce qui permet de l’associer à un propos . . disons, qui me semble, constitué d’une juxtaposition de citations sans fil conducteur.
Il faut vraiment bien distinguer la science participative, parfois possible parfois non, de la médiation scientifique qui DOIT être participartive. J’essaye d’en discuter sur le lien. http://scienceetcitoyens.wordpress.com/2013/04/07/comment-le-travail-scientifique-interagit-avec-la-societe-vraies-et-fausses-bonnes-idees/
Cependant:
1/ Vous abordez des sujets vraiment important, qui me dépassent par beaucoup d’aspect, mais que je reconnais comme à ne pas écarter.
1/ Vive la liberté d’expression, personne ne doit remettre en cause votre droit imputrescible à dire et citer qui vous souhaitez et je le remets pas en cause ici, surtout pas; vous me donnez aussi le droit ici de répondre, c’est juste parfait.
Bien Cordialement.
A Thierry Viéville : Dommage, l’idée que pour vous « partager la science avec les citoyens et les écouter soit un vrai régal intellectuel » ! était fort séduisante… Moi, profane en la matière, je me sentais fière !
Sans être assez naïve pour supposer qu’il soit « toujours » possible de jouer la « carte participative », savoir qu’elle est possible, si ponctuellement que ce soit, donnerait à la science une vraie dimension « numérique » !
Et je trouve effectivement que si les entreprises commencent à placer le client au coeur de leur stratégie marketing, oui ce serait « logique » que la science en fasse autant si elle veut « re »dorer son blason ! 🙂
A Thierry Viéville : Je ne comprends pas non plus votre commentaire ! Je suis allé voir le lien que vous indiquez où il me semble que vous ne dites pas autre chose !
En effet , désolé si je vous cite moi aussi, mais je lis dans ce billet : » le monde académique se doit de partager les connaissances, et donc de diffuser l’information scientifique et technique qu’il détient et qu’il acquiert ».
Et je vais même en rajouter avec seconde citation en conclusion de ce même billet : « Il faut cultiver la confiance »… C’est un peut contradictoire avec votre alerte à la toxicité… mais même s’il peut y avoir ici ou là quelques incompréhension et/ou méprises, est-ce que les chercheurs n’ont pas plus à gagner qu’à perdre en accordant un peu de confiance à l’intelligence des autres humains, ceux qui ne sont pas chercheurs ?
Quant au fait d’être cité quand on s’exprime sur le web… ou alors ne vaut-il pas mieux n’y rien dire ?
Précisons à chacun que le sujet principal de cet article n’est pas « la science participative » ou non, mais « la science audible » ! D’où le titre : « parler science » !
Merci donc au Professeur Viéville, à Eliane et Fabien… d’en parler ici !
A mon avis il faut effectivement parler science. Et vous avez raison, il faudrait commencer par apprendre aux scientifiques à s’exprimer dans un langage accessible au commun des mortels.
La science, la recherche, ont effectivement tout à y gagner. Le numérique ne leur laisse plus le droit au silence ou à l’opacité !