Peut-on concilier éthique et numérique en entreprise ?

ethique-numeriqueUne nouvelle culture pour l’entreprise

L’Ethique : un mot à la mode ?

Aujourd’hui, nous parlons beaucoup d’éthique, peut-être en parlons-nous trop, ou en parlons-nous à tort et à travers ? Mais pourquoi en parle-ton autant ? Dans notre jeunesse, à l’école, nous avions des leçons de morale doublées, pour certains d’entre nous, de leçons religieuses où les vertus théologales et cardinales venaient donner du sens à la conduite que nous devions tenir dans notre vie.

G-Epinette

Georges Epinette
V-Pt CIGREF

A cette époque, on ne parlait pas d’éthique mais bien de morale. Au fil du temps, cette morale s’est avérée coercitive, ringarde, fermée sur un système de valeurs, décalée par rapport à une société perdant de plus en plus ses repères. Aussi, en lieu et place, en est-on venu à parler d’éthique : un terme porteur d’ouverture d’esprit, d’initiatives, de nouvelle conscience morale s’exprimant à travers un changement de paradigmes. Changement de paradigmes, pour examiner autrement le sens de la vie, du bien et du mal et tenter de réconcilier l’homme à son environnement.

Etymologiquement, éthique et morale 1 désignent pourtant la même chose ! On peut même affirmer que la déontologie dérive de la même origine, même si aujourd’hui ce terme est connotatif de devoirs.

Aujourd’hui l’éthique revêt une dimension plus « technique », processuelle, voire opératoire, pour répondre à l’interrogation : « Que faut-il faire pour bien faire ? ». En fin de compte, on a le sentiment que l’éthique tend à devenir un questionnement, alors que la morale – normalement universelle – demeure une affirmation. Le tout étant formalisé et porté par des codes déontologiques régissant les attitudes corporatives. Ces codes n’existent pas chez les Informaticiens : peut-être faudrait-il en créer à l’instar de celui de l’IFACI.

Culture et numérique, un autre rapport au temps…

La culture doit permettre à l’homme de «s’élever au-dessus de sa condition initiale et d’accéder individuellement ou collectivement à un état supérieur ». Le numérique quant à lui, tout comme la science, doit « affranchir l’homme des soucis matériels, pour employer sa liberté reconquise à l’étude et à la contemplation de la vérité » : la phrase n’est pas de moi mais de Henri Poincaré. A ce titre, et compte-tenu de notre rapport au temps, je crains que les notions de bien moral et de progrès intellectuel n’éclairent en aucune façon l’homme sur lui-même.

Ramenée à la Culture d’Entreprise cette observation donnerait raison à Jacques Ellül : « La culture se fait par apports successifs, par adaptations lentes, mûries et intégrées, de générations en générations… La culture n’existe que si elle soulève le sens de la vie et de la recherche de Valeurs ».

On le voit, faire évoluer une culture d’entreprise : n’est pas simple si on part du principe que son interprétation sociologique ou anthropologique lui confère une portée de rassemblement autour d’une pratique, d’un trait, d’un comportement partagé et distinctif.

Attention : culture n’est pas praxis !

Pour reboucler avec le sujet de l’éthique, je reprends à mon compte l’assertion de Jacques Maritain : « la culture ou la civilisation, c’est l’épanouissement de la vie proprement humaine, concernant non seulement le développement matériel nécessaire et suffisant pour nous permettre de mener une droite vie ici-bas, mais aussi et avant tout le développement moral, le développement des activités spéculatives et des activités pratiques (artistiques et éthiques) qui mérite d’être appelé en propre un développement humain ».

Quant au numérique, il constitue une opportunité historique : celle d’un nouveau choix de société. Ce choix est possible si le marché est disposé à aborder les choses « différemment ».
Son rapport avec la culture et l’éthique n’a de sens que s’il peut s’opposer à la démesure de la financiarisation du monde et sa traduction dans une société sans morale et sans respect pour l’humain. La globalisation – dont chacun mesure aujourd’hui les effets dévastateurs, a détruit nombre de liens sociaux et encouragé l’exploitation au détriment de l’exploration.

Que doit proposer le numérique ?

Le numérique doit donc renouer avec un ré-entrepreneuriat (évolution ou transformation) qui suppose un investissement fort, basé sur l’innovation, et des comportements éthiques afin de réinventer l’entreprise. Il s’agit-là d’une perception morale de l’économie.

Le numérique doit respecter ses acteurs. C’est-à-dire qu’aucune des actions, notamment numérique, ne doit être aliénante pour eux. Le consumérisme exacerbé, le pouvoir de tout l’écosystème ont conditionné les clients. Il y a tout un terrain – celui de la confiance renouvelée – à investiguer afin de répondre davantage aux attentes profondes plutôt qu’aux besoins artificiels plus ou moins exprimés tant c’est la confiance qui véhicule la croyance.

Le numérique, en aucune façon, ne peut être considéré comme une finalité, mais comme un moyen. Il faut ici s’élever contre la radicalité des procédés marketing des acteurs du numérique qui laissent entendre que seule la technique guide l’usage. Ce n’est pas tout à fait exact. Sans valeurs, sans vision, on ne peut tirer la quintessence de moyens numériques : une stratégie digitale ne pouvant se désarticuler d’une stratégie globale.

Cette notion d’éthique s’inscrit-elle d’ores-et-déjà dans la vision de l’entreprise numérique ?

Contribution de Georges Epinette,
Vice-président du CIGREF

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1 Au plan philosophique, il semble que lorsqu’une action est faite « par devoir », il s’agit de morale, quand elle est dictée par une finalité qui invoque des moyens, on pourra parler d’éthique

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4 Comments
  1. Justine

    Qu’on l’appelle « éthique », « morale » ou « déontologie », je ne crois pas que le numérique soit une menace pour elle. Ou pas plus que ne l’ont été les évolutions technologiques et industrielles précédentes.

    Sans faire d’angélisme (je crois), depuis l’origine de l’humanité, l’homme a toujours réussi à mettre en oeuvre les garde-fous nécessaires à ses sociétés. Certes, cela a pris plus ou moins de temps. Et là, il est vrai que le numérique précipite sérieusement le rythme… mais il me semble, que ce soit au sein de l’entreprise ou plus globalement dans la société, on peut imaginer que les intelligences collectives, surtout alors que grâce au numérique elles sont fédérées au sein de réseaux multiples, elles sauront veiller au grain !

    Et d’ailleurs, ce site qui incite à la réflexion et au questionnement n’en est-il pas la preuve ? 🙂
    Justine, étudiante

  2. Virginie

    J’aime bien quand vous dites « des comportements éthiques afin de réinventer l’entreprise ». Je crois que c’est précisément un des atouts du numérique qui offre très vite plus de transparence à ce qui se fait. Donc de notoriété – bonne ou mauvaise – aux pratiques !
    Mais à la fois il y a déjà des comportements éthiques en entreprise et il y aura aussi toujours des comportements malsains… comme dans toutes les sociétés humaines !
    Le numérique permet juste de le savoir plus vite et le pouvoir à chacun d’en parler.

  3. Le numérique transforme la société, et comme les entreprises en font partie, les entreprises elles-mêmes. Concernant les relations des entreprises avec leurs prospects et clients, les pratiques de marketing et de commercial, du fait de la globalisation des acteurs (réseaux sociaux, agences de publicité, places de marché d’annonces,…) s’uniformisent sur un modèle où la publicité tend à devenir « totalitaire » (en systématisant le traçage, le ciblage, l’invasion d’une pollution publicitaire, qui, en d’autres lieux, est réglementée par les Nations). La régulation ne peut plus venir des Nations, car l’espace est global. Elle peut venir des clients, si la pression publicitaire devient trop forte et déviante, et des entreprises si elles sont conscientes des excès de pratiques trop envahissantes. Pour l’heure, on est encore dans la phase de découverte (Far-Ouest), par exemple avec une croissance explosive des ad-ex (bourses de publicité en ligne), de l’achat sur mobile… A terme, il serait sain qu’une déontologie se dégage, par exemple dans les inter-professions.

    Cette globalisation est due à la transformation numérique : ce qui se faisait de manière physique et locale, est dématérialisé et n’a plus de lieu, par exemple étant dans le Cloud.
    Cela pose bien sûr des problémes économiques, mais c’est le sens de l’histoire, il vaudrait mieux prendre une part de l’innovation mondiale que d’essayer, sans espoir, de retenir une valeur ajoutée qui s’échappe aux frontières… Par contre, cette globalisation est fondée sur une chaîne de valeur qui fonctionne au plan économique, mais qui a des failles (cachées mais connues des techniciens) telles que peu de questions de l’ordre de l’éthique sont garanties : respect des responsabilités sociétales et environnementales, des réglementations de liberté individuelle, etc…

    C’est tout simplement un probléme du même ordre que celui de la « vache folle », ou des récents scandales sur la viande de cheval, toutes proportions gardées. Il y a au moins 2 volets : celui du Cloud et celui des données individuelles. Pour le Cloud, il est caché par les contrats de prestations, mais le sujet est réel. Pour les données, on peut diaboliser les grands acteurs des réseaux sociaux… mais le fait est qu’ils ont accès à l’intimité de leurs utilisateurs ( voir http://www.value-architecture.com/2013/03/la-captivite-numerique.html) , et que, de fait, cette intimité a de la valeur (au sens marchand), ils n’ont pas envie de se donner des contraintes fortes qui déplairaient à leurs clients marketeurs ou annonceurs…

    Vaste sujet, et l’angle de vue éthique me semble indispensable pour progresser, clarifier le débat, et, à terme, parer aux excès.
    Merci Georges d’avoir posé cette thématique essentielle.

  4. Michel

    « La culture n’existe que si elle soulève le sens de la vie et de la recherche de Valeurs ! »
    Dans l’idéal bien sûr. Mais c’est aussi un ensemble de pratiques, d’usages… Et quand ils sont tout neufs avec le numerique, c’est chacun de nous, dans nos usages, nos comportements, qui écrivons ce que seront la culture et les valeurs que nous laisserons à nos enfants !
    Donc oui, c’est important de pouvoir échanger sur ces questions !

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