Sur quelle planète faudrait-il vivre pour ne pas avoir remarqué les mouvements tectoniques1 qui agitent la lithosphère2 numérique du monde de l’entreprise, du monde tout court ?
La Fondation CIGREF s’est penchée sur ces mouvements dès 2009 en lançant son programme de recherche pour observer, étudier et « mieux comprendre comment le numérique transforme notre vie et nos entreprises ».
Alors que les équipes de chercheurs de son 3ème appel à projets travaillent à présent sur ce que sera l’économie de la numéricité, la façon d’appréhender la maturité numérique ou encore ce que pourra être la gestion des espaces et de la fonction numériques… les deux premières vagues d’études ont déjà identifiés quelques facteurs déterminants de ces mouvements tectoniques.
Premier glissement tectonique de l’entreprise numérique : le modèle d’affaires
Parmi les premières plaques tectoniques dont les glissements bouleversent les fondamentaux de l’entreprise traditionnelle héritée de l’ère industrielle, se trouvent certainement les modèles d’affaires.
En effet, les professeurs Omar A. El Sawy et Francis Pereira dans leur étude « Modèles d’affaires dans l’espace numérique » affirment que les approches existantes pour décrire des modèles d’affaires ne sont pas adaptées aux nouveaux modèles d’entreprises numériques.
Ils relèvent que les avantages compétitifs se périment plus rapidement que par le passé, ou encore que l’agilité prime sur les capacités de production. Ils ajoutent que de nouvelles attitudes managériales s’avèrent nécessaires et que la « coopétition » devient incontournable.
L’inadéquation des modèles d’affaires traditionnels avec l’entreprise numérique est également désignée par l’étude « Modèles d’affaires, coproduction de valeur et systèmes d’information » conduite par les professeurs Marie-Hélène Delmond et Alain Keravel.
Les chercheurs expliquent que la notion même de valeur change dans un monde numérique : la valeur est co-créée, co-transformée et co-capturée par l’ensemble des acteurs de l’écosystème : consommateurs, concurrents, partenaires stratégiques et communauté. Globalement, l’expérience client supplante le prix, les consommateurs co-créent la valeur.
Autre glissement tectonique de l’entreprise numérique : la mobilité
Dans son ouvrage « Entreprises & Culture Numérique », le CIGREF précise « Les outils de travail en mobilité (Smartphones, ordinateurs portables, tablettes), sont une des modalités d’interaction de l’entreprise en réseau et de sa culture numérique. Ces technologies de la mobilité possèdent un potentiel d’innovation non négligeable pour les entreprises ». Il s’appuie sur l’étude du professeur Namjae Cho (Université de Hangyang-Corée) « Les smartphones comme vecteurs d’innovation dans la coordination organisationnelle » sur les pratiques de travail mobile.
Cette étude montre que la coordination due à la mobilité peut être considérée comme un concept global regroupant les notions d’intégration, ce qui favorise la prise de décision et contribue à la performance de l’entreprise.
L’individu au cœur de la « tectonique Numérique »
A l’instar de l’origine des modifications de l’écorce terrestre, beaucoup de paramètres agissent sur les plaques structurant la « lithosphère de l’économie numérique ». Globalement, ces translations tectoniques bouleversent l’ensemble des repères sociétaux.
Mais, dès lors que les glissements majeurs portent sur l’organisation du travail (mobilité, usage des technologies), que la création de valeur dépend de plus en plus des acteurs de l’écosystème, la dimension humaine devient une variable essentielle de ces transformations !
C’est à ce titre qu’elles s’inscrivent dans une notion de « Culture Numérique », décrite par le CIGREF.
« La conscience sociale se développe à travers les comportements des e-leaders, axés sur la relation. Le développement des aspects liés aux relations interpersonnelles, comme la confiance, la cohésion et la gestion des conflits, réduit l’incertitude concernant le comportement des membres de l’équipe… La culture numérique peut être source d’épanouissement pour des équipes trouvant dans ces moyens et outils de nouvelles manières de réussir ensemble… »3
Management, intelligence collective, innovation… chacun de ces fondamentaux dépendent de la mutation culturelle qui retrace le design de l’entreprise, sa structure organisationnelle.
Ce concept de culture à travers sa dimension humaine est paradoxalement le maillon fort de l’entreprise numérique. Paradoxalement parce que l’idée même du numérique projette souvent en première ligne l’image des technologies, des objets numériques…
Cette dimension humaine de la tectonique numérique ramène également beaucoup de questions auxquelles l’homme, quel que soit son rôle, sa place au sein de ces transformations, se doit de d’apporter des réponses s’il souhaite garder la main sur son avenir…
Quelques questions…
Etre salarié du numérique, ce sera comment ?
Le numérique déshumanise-t-il la confiance ?
Quelle nouvelle place pour l’homme ?
Vous avez la parole !…
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1 Ensemble des mouvements et des dislocations agissant sur les plaques plus ou moins rigides qui constituent la lithosphère.
2 Partie superficielle de la terre formant les plaques rigides de la tectonique des plaques. Elle correspond à deux enveloppes superposées : la croûte et le manteau supérieur rigide.
3 CIGREF, 2013, « Entreprises & Culture Numérique », Chapitre 7
Excellente métaphore !
D’autant que comme pour les phénomènes géologiques, personne ne sait dire quand ça se produit ce qu’il adviendra « des plaques » !
Les travaux de votre Fondation en indiquent des tendances, nous verrons bien… dans 10 ans ici même pour comparer !!! 🙂