Quelle différence entre éthique en management et éthique numérique ?

management-ethiqueDans un monde où le numérique prend de plus en plus de place, le questionnement sur l’éthique en management se doit d’inclure une réflexion de l’utilisation du numérique dans ses pratiques.

Par conséquent, répondre à la question « Peut-on concilier éthique et numérique en entreprise ? » posée par M. Epinette est, je le pense, très proche de « L’entreprise doit-elle être éthique ? ». Thème que j’avais abordé dans ma thèse professionnelle de l’EMSI (Grenoble Ecole de Management) en 2010, en me posant la question suivante : « L’entreprise peut-elle être éthique ou bien morale ? ».

C’est une question que l’on doit se poser, surtout dans un contexte de réorganisation d’un service qui a des conséquences sur les conditions de travail des employés, mais qui peut aussi, dans certains cas, en avoir sur leur carrière et leur emploi. 

D’après un article1 de décembre 2004 de Bernard Girard, consultant en management, chroniqueur radio et conférencier, cela fait une vingtaine d’année que l’on s’intéresse au concept d’entreprise citoyenne et de charte éthique. Des agences de notation sociale ont d’ailleurs vu le jour dans le même temps ainsi que des chaires spécialisées à l’université. Ce phénomène sur lequel ironisent certains philosophes, sociologues et économistes soupçonneux, voire agacés, n’a cependant pas empêché la multiplication des scandales ces dernières années.

Que faut-il en penser de l’éthique en management vs numérique ?

Est-ce de la poudre jetée aux yeux de l’opinion, pour mieux faire passer la pilule libérale, qui ne produit aucun résultat tangible, ou un mouvement de fond correspondant à de nouvelles exigences, une recherche de règles et de normes pour mieux fonctionner dans un monde globalisé où les systèmes réglementaires et juridiques sont ébranlés ?
En s’internationalisant, les entreprises peuvent choisir de s’installer là où l’environnement est le plus avantageux, de respecter une loi plutôt qu’une autre. Cela soulève inévitablement de nouvelles questions de nature éthique.

Le philosophe André Comte Sponville a son avis sur ces questions. Il expose sa perplexité2 concernant la notion d’éthique d’entreprise, et cela pour les trois raisons suivantes :

  • « Tout d’abord, parce ce que ce serait la première fois que la vertu ferait gagner de l’argent » et le but d’une société est d’en gagner le plus possible par tous les moyens légaux. A l’encontre de cet avis, certains affirment, que l’éthique d’entreprise pourrait ne pas être incompatible avec la rentabilité, en favorisant, par l’apaisement du climat social, la productivité des employés et la qualité de leur travail. Par ailleurs, sur le plan commercial, le label « éthique » fait vendre.
  • « Ensuite, parce qu’il est vrai que le devoir et l’intérêt peuvent aller dans la même direction, mais que dans ce cas, aucun problème moral ne se pose». N’est moral que ce qui demande une action volontaire spécifique.
  • « Enfin parce que, si on accomplit une action morale par intérêt, cette action n’a aucune valeur morale même si elle est conforme à la morale, puisque le propre de cette dernière est le désintéressement ». N’est moral que ce qui est dénué d’intérêt personnel.

André Comte Sponville utilise les mots « éthique » et « morale » de manière indifférenciée. En ce qui me concerne, je préférerais approfondir ces notions car même si elles sont proches, elles comportent des nuances intéressantes. Alors que la morale définit des principes et des lois générales, un ensemble de règles sociales, l’éthique n’a de sens que dans une situation donnée3 , comme le souligne Jean-Jacques Nillès, philosophe et maître de conférences à l’université de Savoie. Il s’agit d’évaluer la pertinence de certains choix à faire et comportements à avoir, à l’aune des systèmes de valeurs à disposition en un lieu et une époque donnés. La morale ignore la nuance, elle est binaire tandis que l’éthique admet la discussion, l’argumentation, les paradoxes. Pour cette raison et aussi parce que le terme de morale a une connotation fortement religieuse, je préfère employer le mot « éthique ».

Néanmoins je partage la vision générale d’André Comte Sponville et de celle-ci je tire l’enseignement suivant : Si l’entreprise ne peut pas être éthique, les managers doivent être exemplaires, donc éthiques, dans leurs comportements au jour le jour, car en ce qui me concerne, à la question « Peut-on travailler ensemble sans confiance ? », je réponds sans hésiter : « non ».

C’est aussi ce que conclu aussi le rapport4 écrit par les élèves officiers Dingboe, Mesnard et Guenois de l’Ecole Navale, et primé au Concours Rotary-CGE 2007 pour la promotion de l’éthique professionnelle en proposant une « multitude d’éthiques individuelles au sein de l’entreprise » car « une généralisation de [l’éthique d’entreprise] reste utopique dans un monde de compétition ».

En effet, il est pour moi important que le manager se comporte de manière éthique envers ses collaborateurs. Les employés doivent pouvoir faire confiance à leur manager, qui se doit d’être à la fois bienveillant et implacable. Bienveillant en respectant leur dignité et en leur faisant, a priori, confiance. Implacable en exerçant son autorité et en responsabilisant chacun d’eux.

Et « numérique équanime » alors ?

C’est ce qu’Eric Jauffret, docteur en histoire et anthropologue, spécialiste du philosophe René Girard, qualifie de « management équanime ». En se basant sur les thèses de ce dernier il pointe et décode les comportements humains qui débouchent immanquablement sur des conflits afin qu’ils puissent être évités. Mais ses préconisations ne peuvent-être envisagées que si tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise partagent cette valeur. Le moindre accro pourra avoir un effet désastreux comme dans un château de carte. Si l’on en retire une, tout l’édifice risque de s’écrouler.

Pour moi, donc, l’utilisation du numérique en entreprise doit se faire en respectant les même principes que le management et par conséquent il est important d’utiliser les outils numériques de manière éthique.

Peut-être peut-on donc reprendre le terme de René Girard et parler de « numérique équanime » ?
E-Boson– Bienveillant, car utilisant les informations numériques dans le respect des personnes (employés, clients, fournisseurs, etc…),
– implacable, car responsabilisant ces mêmes personnes aux risques inhérents à l’utilisation de plus en plus importante des outils numériques.

Eric Boson
IS Portfolio Manager & Business Partner EMEA

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A quoi bon l’éthique d’entreprise ? (2004)
2 Le capitalisme est-il moral ? (2006)
3 Regard sur l’éthique d’entreprise (2009)
4 L’éthique, une exigence nouvelle du développement (2007)

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Un commentaire
  1. Le numérique transforme non seulement les relations internes à l’entreprise, mais aussi le recours à des ressources externes. Des parties de chaîne de valeur, traditionnellement sous-traitées en proximité, sont numérisées, c’est-à-dire en général traitées dans un contexte global : la morale est alors diluée par la distance. La transformation numérique a un revers de médaille économique (voir : http://www.value-architecture.com/2013/04/lenvers-du-decor-de-la-transformation.html ), mais les conséquences éthiques sont encore plus difficiles à anticiper.
    La globalisation économique a renforcé l’immoral comme avantage compétitif, l’exemple de l’effondrement de l’immeuble du Bangladesh est typique de cette pression de l’immoral.

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