Vendredi soir, au menu de « La Cantine », le Grand Mix 2* ! Il s’est tenu sur ce thème « Culture scientifique et Culture numérique : Le Grand Mix hacke la science » ! Rencontres et discussions pour les acteurs de la recherche et les acteurs du numérique qui s’interrogent : aujourd’hui, dans notre monde numérique, la Recherche, la Culture scientifique, peuvent-elles encore se tenir à l’écart, dans un « quant-à-soi » élitiste réservé à « ceux qui savent », face à ceux qui apprennent ou aimeraient savoir, découvrir…
Pour aborder cette question, le Grand Mix a sollicité notamment :
- Dominique Boullier, coordinateur du Medialab de Sciences Po
- Jean Menu, directeur projet à UniversSciences à la Cité des Sciences de Paris
- Pierre Barthélémy, journaliste scientifique, qui fut à l’origine du service Sciences et Environnement au journal Le Monde, rédacteur en chef de Sciences et Vie, et actuellement journaliste indépendant et blogueur pour le média en ligne Slate.fr
Le numérique pour accéder à « la Science en train de se faire »
Sciences Po s’est doté du Medialab, infrastructure technologique de pointe afin « d’inscrire les sciences humaines au cœur des nouvelles pratiques numériques, échanger et expérimenter ». Dominique Boullier, coordinateur de ce Medialab, compare la topologie du web sur la culture scientifique et technique, qui avait été faite il y a 3 ans, à ce qu’elle est actuellement. Le constat était alors que les grandes institutions tels le Muséum d’Histoire Naturelle, le Musée des Arts et Métiers, la Cité des Sciences et le Palais de la Découverte étaient coupés des autres domaines sur le web. Seul le secteur de la sauvegarde de la nature, les parcs naturels avaient établi des liens avec les activités locales.
Aujourd’hui, il semble que « les amateurs de sciences soient encore hors jeu dans le web CSTI », autrement dit les Centres de Culture Scientifique, Technique et Industrielle, dont le premier a été créé en 1979 à Grenoble. Les CSTI sont des centres de vulgarisation dont le but est « d’aider les individus à mieux appréhender le monde qui les entoure » pour combler le dangereux décalage qui s’instaurait à l’époque entre l’évolution des sciences et techniques et la capacité des citoyens, des responsables politiques à les comprendre.
Dominique Boullier rapporte également la faible part faite à l’expérimentation sur le web, qui permettrait pourtant aux scolaires d’apprendre à manipuler, à simuler des expériences. Il semble cependant que cela commence à évoluer.
Medialab avait fait des recommandations pour imaginer une politique de « CSTI 2.0 » permettant de « passer de la culture cultivée à la culture ordinaire », car il y a beaucoup de gens ordinaires qui viennent à la science et qui en font. L’objectif étant de faire évoluer le public d’un statut de consommateur vers celui d’un « proam », autrement dit un amateur de sciences éclairé et contributeur. Pour cela il faut lui offrir des ressources sur le web, être capable de lui proposer de s’intégrer à une activité. Les chercheurs ont pris l’habitude de diffuser la « Science faite » et rarement la « Science controversée », celle qui est en train de se faire.
Le numérique permet d’accéder à la « Science en train de se faire ». Selon Bruno Latour, sociologue anthropologue, professeur à Sciences Po, c’est une face nécessaire pour comprendre ce qu’est l’activité des scientifiques. Mettre le numérique au service de la science en train de se faire, permet de la montrer en train de débattre. Le Medialab travaille beaucoup sur les sites de controverse qui peuvent permettre aux chercheurs eux-mêmes de mieux comprendre comment la science évolue, contribuer à créer des réseaux sur lesquels ils commencent à communiquer.
Le jeu sérieux prolonge la Science…
Jean Menu aborde l’impact du « serious game » vis-à-vis de la Science. Créer des outils numériques à caractère ludique permet à un public qui ne viendrait pas dans des lieux comme la Cité des Sciences ou le Palais de la Découverte, mais s’installent facilement devant des ordinateurs, de découvrir la science.
Les outils numériques permettent de capitaliser, de solidifier les contenus des expositions présentées par exemple à la Cité des Sciences, de leur donner une seconde, une troisième vie… c’est quelque chose de très riche pour l’avenir. On réfléchit à la façon de conserver une mémoire des expositions. Aujourd’hui, une fois qu’elle est démontée, il n’en reste pas grand-chose. Est-ce qu’il ne fait pas partie de la mission des grandes institutions publiques de médiation scientifique de s’adresser non seulement au premier cercle des gens qui viennent voir les expositions, mais aussi à tous ceux qui ne viendront jamais ?
« Il est important de réfléchir à l’utilisation des outils numériques, avant, pendant et après une exposition. Il y a énormément de groupes scolaires qui viennent à la Cité des Sciences et au Palais de la Découverte. On imagine le type de jeux que l’on pourrait faire pour leur donner envie de préparer leur visite, d’apprendre déjà quelque chose, de comprendre ce qu’ils vont voir. Au cours des visites, on peut faire énormément de choses avec le numérique, mais aussi dans le prolongement à la maison, grâce à l’usage des outils numériques familiaux ».
En 2009, dans le cadre d’un appel à projet gouvernemental, fait par Nathalie Kosciusko-Morizet, d’un budget de 20 millions d’euros, certaines choses ont concerné la recherche, notamment des outils collaboratifs entre les unités de recherche, dans lesquels il peut y avoir des éléments ludiques, mais qui ne se sont pas encore traduits par des jeux. Un groupe de professeurs de math a développé un outil pour les élèves qui plait beaucoup. Il permet de partager les cours d’une centaine de professeurs. Les éditeurs scolaires s’y intéressent.
Les nouveaux rapports entre le journalisme scientifique et le numérique
Comment le numérique change-t-il le métier de journaliste scientifique et ses lecteurs ? Pierre Barthélémy évoque cette question à travers sa propre expérience. Journaliste à l’origine du service Sciences et Environnement du Monde, puis rédac-chef de Sciences et Vie, il a finalement choisi le web pour s’exprimer. En quittant la presse papier, pour l’univers du média numérique, il a tout naturellement tenté de contacter les rédactions des grands titres numériques comme Le Monde.fr et le Figaro.fr. Il leur a proposé de développer une chaine thématique sur la science, prise au sens très large : science dure, science souple, mais aussi santé, médecine, environnement… des sujets qui intéressent vraiment le public, comme on le voit à travers les études de lectorat faites depuis une vingtaine d’années. Mais, « en France, on a un gros problème culturel qui est que les élites françaises n’ont aucune curiosité pour les sciences, un peu plus pour l’environnement, mais ce manque de curiosité se retrouve aussi dans les élites de la presse… ». Même si développer de nouvelles rubriques est beaucoup plus facile sur internet, ces grands titres du web n’ont pas été convaincus. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, il existe des plateformes, des sites, des médias papier sur le thème de la science… pourquoi n’a-t-on pas cela en France ?
Pierre Barthélémy a finalement reçu une audience favorable de la part de Slate.fr où il a créé un blog dédié aux sciences. En 3 mois, ce blog a plus que triplé ses statistiques de pages vues. « On peut ainsi voir l’intérêt des gens pour la culture scientifique et se rendre compte que rien dans les médias traditionnels, papier ou en ligne, n’est suffisamment bien fait pour satisfaire cet intérêt ».
« Il existe deux façons pour un journaliste de regarder la science en train de se faire : on regarde les publications, que ce soient les publications dans les revues primaires ou les publications discutées par les chercheurs eux-mêmes. L’autre façon de voir la science en train de se faire, c’est continuer à faire son métier de journaliste, aller dans les labos, aller interroger les gens. Là cela pose effectivement un problème, car quand on est dans un journal on a un peu de moyens, mais dans la cadre d’un blog, vous n’avez pas d’argent pour aller au Pôle Nord ou en Antarctique. Même si je peux faire des interviews sur Skype maintenant, on ne perçoit pas l’ambiance, les odeurs, de la même façon. Le lecteur aime qu’on l’emmène avec soi dans un laboratoire… Aux Etats-Unis, pour de tels reportages, les médias scientifiques numériques font appel au financement public, un appel au don. Les internautes qui ont contribué sont destinataires du reportage, par mail ».
La Fondation CIGREF s’inscrit dans l’esprit de « la science en train de se faire » !
Le CIGREF attache une très grande importance à la réflexion sur les Cultures Numériques. Par exemple, en faisant intervenir comme Grand Témoin Milad Doueihi, auteur de « Pour un humanisme numérique », il s’est interrogé pour définir en quoi le numérique est-il une culture ?
S’intéresser à la Culture Numérique et ne pas inscrire la Fondation CIGREF dans une démarche ouverte sur et via le numérique ne serait sans doute pas très cohérent… En ouvrant cet espace web dédié à son programme international de recherche « Information Systems Dynamics », et en publiant aussitôt la synthèse des résultats de la première phase de ses appels à projets « l’accéluction en action », la Fondation CIGREF a délibérément fait le choix d’évoquer « la science en train de se faire » !
De plus, dans cet esprit, pour « mieux comprendre comment le monde numérique transforme notre vie et nos entreprises », nous avons ouvert nos pages aux commentaires et contributions de tous. Ne vous en privez pas !
Retrouver l’intégralité de la soirée en Vidéo.
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* La Cantine : son but est « de faire se croiser des mondes qui travaillent dans des lieux éclatés afin de mutualiser les moyens et les compétences entre développeurs, entrepreneurs, usagers, artistes, chercheurs et étudiants. C’est donc un lieu de rencontre, d’informations, d’échange et de complémentarité entre des acteurs éclatés axé sur l’intelligence collective ».
* Le Grand Mix est un collectif : C@fé des sciences, Knowtex, Pris(m)e de tête, Sciences et Démocratie, Recherche en cours.
C’est vrai qu’on a du mal à comprendre pourquoi les grands médias n’ont pas fait le choix d’avoir une vraie rubrique Sciences.
On aimerait bien regarder la science en train de se faire dans de nombreux domaines.
Merci à la fondation Cigref de nous faire partager ses travaux qui nous concernent tous. Le monde numérique transforme tout notre environnement, on le constate mais une vision scientifique ne manque pas d’intérêt.
L’accéluction est un concept qui appelle cependant plus de développement.